Les deux sacs¶
J’ai posé les deux sacs que je ramène à Ali sur le côté. Dans l’un d’eux, des fruits. Des bananes, des pommes, des oranges. Dans l’autre, des chocolats, des gâteaux en frangipane, des spéculoos, des gaufres. Mais aussi la boite de crayons de couleurs, un pinceau, un taille crayon ainsi que deux crayons ordinaires que Christine m’a confiés pour Ali. J’y ai également rangé les chocolats et gâteaux que Insaf a tenu à lui offrir. Aussi d’autres objets que Ali avait demandés. Christine et Insaf font partie du Comité Free Ali et sont devenues pour moi, comme d’autres personnes que je ne cite pas ici, des membres de notre famille devenue si grande.
Dans les autres objets que Ali avait demandés, des piles crayons pour pouvoir utiliser la télécommande.
Une petite TV encastrée se trouve dans la cellule, mais une télécommande sans piles ne permet pas de l’allumer.
Il avait également demandé des balles de tennis pour pouvoir les lancer contre le mur de la cour où il passe une heure par jour, mais toujours seul. A défaut d’avoir de la compagnie, il disait qu’elles rebondiraient partout, lui reviendraient en ricochant et finiraient par lui donner l’illusion de jouer avec quelqu’un.
Cela lui permettrait aussi de faire de l’exercice…
Il voulait aussi avoir un blaireau pour faire mousser le savon et pouvoir se raser. Ainsi qu’un tout petit poêlon avec couvercle afin qu’il puisse de temps en temps demander au gardien de lui ramener un peu d’eau chaude pour se laver.
Dans sa cellule il ne dispose que d’eau froide et il n’a droit qu’à une douche par semaine.
Je lui ai également ramené des cotons tiges, une boite de compléments alimentaires de qualité. Je sais qu’à défaut d’avoir une bonne alimentation, ces compléments alimentaires peuvent lui faire le plus grand bien. Ils lui permettraient de renforcer son système immunitaire qui doit être en bien piteux état. Je fais allusion aux conséquences désastreuses de cette longue et horrible grève de la faim qui dura 72 jours, mais aussi au fait qu’on lui refuse tous les extras à l’heure actuelle. La preuve c’est qu’il a perdu 18 kg depuis son transfèrement à Tiflet 2, où il est soumis à un régime de détention terriblement dur. L’isolement !
J’attends toujours en observant l’heure. Il s’est écoulé 45 minutes quand un gardien ouvre la porte sur le côté. L’entrée réservée aux proches des détenus. Il me demande mes documents et je lui donne mon passeport. Il me dit d’attendre encore et s’en va à l’intérieur en refermant derrière lui.
Je reprends les va-et-vient pour mieux patienter.
Je me remets à parler seule : “Tant que les avocats sont avec lui on ne me fera pas rentrer, je n’ai qu’à attendre encore un peu…”
J’avais pris soin de dire aux avocats qu’il ne fallait surtout pas dire à Ali que j’étais là tant qu’ils n’avaient pas terminé avec lui. Je le connais si bien, qu’à coup sûr il écourterait l’entretien avec eux pour ne pas me laisser attendre.
La porte s’ouvre et quatre mamans sortent. À leurs mains des sacs vides pliés, des caddies vides… Elles viennent de rendre visite à leur proche de toute évidence. Elles ont l’air de bien se connaître, elles discutent entre elles et vont s’éloigner lentement. Il s’est de nouveau écoulé quinze minutes.
Je les observe s’éloigner… Au loin j’aperçois du bétail qui broute de l’herbe et se déplace calmement. Je regarde ces murs et estime leurs hauteurs. Je ne sais plus où placer mon regard tant l’impatience me gagne…
La porte s’ouvre à nouveau. Le gardien me dit que le passeport ne suffit pas. Il me faut la carte nationale. Je réponds que je n’ai pas de carte nationale. Il demande ma carte de séjour en Belgique. Je ne l’ai pas avec moi, je l’ai laissée à l’hôtel.
Il retourne à l’intérieur et moi j’ai envie de CRIER TRÈS FORT !
Ils n’ont pas intérêt à m’empêcher de voir Ali !
Je patiente tant bien que mal. La porte s’ouvre de nouveau et je lui demande s’il a l’intention de me laisser attendre encore longtemps. Il me dit de rentrer…
Je suis à l’intérieur et je passe dans un bureau où il me demande si je reconnais les photos sur les copies des passeports appartenant à l’épouse de mon père, à l’épouse de Ali, à mon jeune frère. Je lui dis qui ils sont à tour de rôle et enfin il me permet d’aller plus loin. Mais pas si loin puisqu’on me dit d’attendre encore à l’intérieur. Je prends mon mal en patience. Ai-je le choix ?!
Je peux enfin m’asseoir. J’aperçois de là où je suis l’appareil qui scanne les produits et le lieu des fouilles des aliments et autres articles qu’on pourrait rapporter à nos proches. Cependant c’est vide. Personne en vue. Étrange, serais-je la seule personne à rendre visite à cette heure-ci ?
Petit à petit ils intègrent leur poste. D’abord une gardienne qui s’assied à proximité du tapis roulant où l’on pose les affaires. Puis un gardien qui plaisante avec elle. Elle rit souvent aux éclats. Un troisième gardien est celui qui est venu réceptionner mon passeport.
Ce dernier me dit que tant que les avocats sont avec mon frère, je ne peux rentrer. Je réponds que c’est entendu et que je suis disposée à attendre le temps qu’il faudra.
Le temps passe plus vite ici. Enfin on me demande de tout poser sur une table. Je m’empresse de le faire et sans qu’on me le dise je commence à tout sortir afin qu’ils examinent l’ensemble au plus vite.
Un quatrième garde s’approche. Il est petit de taille… Il semble être attendu par tous les autres comme s’il était le seul à pouvoir décider de ce qui est accepté ou pas.
Je suis choquée d’assister à cette façon de faire. C’est comme si je devais marchander mais inutilement puisqu’ils ont sûrement reçu des ordres de presque tout refuser.
Ce garde sur lequel ils comptent tous, ne m’adresse pas le moindre regard. Il ne tient pas à croiser le mien. C’est un comportement que je finis par connaître on ne peut mieux. À la fois pour éviter la gêne que procurent tous les refus et pour se protéger des problèmes qui risquent de tomber sur lui s’il ose défier le moindre ordre donné plus haut. Qu’à cela ne tienne… Je suis complètement dévastée par la rage de savoir que quasiment tout est interdit à Ali, sauf les fruits qui vont être coupés en deux ! Et la boite des crayons de couleurs. Jusque-là on me fait croire que les balles de tennis lui seront remises…