Comme je l’ai déjà raconté dans le texte précédent, j’ai donc été incarcéré deux fois en l’espace de deux semaines. Une première fois à la maison d’arrêt de Villepinte, et une seconde fois à celle de Fleury Mérogis, à l’issue de la journée du 2 juin, durant laquelle je faisais face à la cour d’appel de Paris.
À la suite du délibéré brutal du président de la Cour, qui avait décidé de me renvoyer en détention provisoire et de maintenir mon frère en prison, je me retrouvais seul dans une cage de la largeur de mes bras, au fond d’une pièce gardée par des gendarmes.
Mon avocate m’avait quitté pour rejoindre ma famille, après être venue m’apporter mon sac de linge et m’avoir annoncé que j’étais “affecté” à la maison d’arrêt de Fleury, dans laquelle était également détenu Angel. Elle avait tenté de me rassurer en me disant que Fleury venait d’être rénovée et que les bâtiments étaient beaucoup moins sales et délabrés que ne l’étaient ceux de Villepinte, et qu’avec un peu de chance je pourrais peut-être croiser mon petit frère.La salubrité des prisons était la dernière chose à laquelle je pensais, et je ne me faisais pas trop d’illusions sur les possibilités de croiser Angel là-bas, car, un de mes camarades, qui venait tout juste de voir sa mise en liberté confirmée par la cour d’appel, avait lui aussi été incarcéré avec Angel à Fleury, et avait été placé dans un autre bâtiment pour éviter tout contact entre les deux “complices présumés”.
Après plusieurs minutes, un gendarme me sortit de la cage. Une fois encore, il me mit les menottes et la petite laisse mécanique qu’il tenait d’une main. Il accrocha mon sac à mon épaule et, sans un mot, me conduisit vers les longs escaliers qui mènent aux souterrains du palais de justice. Je retrouvais les mêmes couloirs sombres et les mêmes tunnels de pierres humides et froides. De temps à autre, un soupirail laissait passer un courant d’air. De l’eau coulait sur les murs et de la mousse avait même poussé à certains endroits. Nous tentions d’éviter les flaques qui parsemaient notre parcours et les gouttes qui tombaient des canalisations qui courraient au-dessus de nos têtes.
Arrivés à une intersection, nous faisons face à deux panneaux : à gauche “la souricière” à droite “le dépôt”. Après avoir lu son “bon de livraison”, le gendarme prit à droite, et pendant que je le suivais, j’avais le cœur serré de savoir qu’Angel, lui, avait pris à gauche. Une barrière de plus qui nous séparait.
Arrivés au dépôt, je retrouvais la même grande salle à plusieurs étages dans laquelle se faisaient face des dizaines de cellules. Des hommes y étaient enfermés, pour certains depuis plus de 24 heures, à la suite de leur garde à vue et dans l’attente d’une audition devant un juge pour enfin être fixés sur leur sort. Je croisais des visages fermés aux traits tirés, des yeux cernés et des regards plein d’angoisse et d’épuisement. Le gendarme retira mes menottes et me confia aux soins des policiers en charge de la garde de nuit au dépôt.
C’était la seconde fois que je me retrouvais ici en l’espace de quelques jours, et le destin avait fait que l’équipe de policiers de garde ce soir-là était la même que la semaine précédente, lorsque nous étions arrivés à quatre pour être entendus au palais après deux jours de garde à vue. Mais cette fois-ci, j’étais seul, sans mon frère et mes camarades.
Les policiers qui m’avaient reconnus se faisaient passer le mot, j’entendais fuser les premières insultes et les premières menaces. Sans prononcer un mot, je tentais de maintenir mes yeux fixés dans tous les regards haineux que je croisais, mais je n’en menais pas large. Tout un conglomérat d’uniformes me faisait maintenant face pour exprimer leur joie de me savoir à nouveau de retour en prison. Derrière son guichet, le policier en charge de la “répartition” des places ordonna qu’on m’isole dans la cellule la plus proche pour “garder un œil sur moi”. Alors que tous les futurs détenus étaient enfermés dans une pièce commune, je fus jeté dans une cellule individuelle.
Je retrouvais le même banc en pierre, la même lumière artificielle, l’odeur d’urine et les traces d’excréments tapissés sur les murs, les couvertures en laine qui puent la misère des hommes et un matelas en plastique jaune taché de gouttes de sang.
J’attendais là plusieurs heures, la tête entre les mains et l’esprit torturé. Je voyais ma mère en larmes, mon père dépassé par les évènements, mon frère au fond d’une cellule, ma copine complètement perdue et seule face aux conséquences de luttes qu’elle ne comprenait pas. Lorsque j’ouvrais les yeux, c’était pour mieux me rendre compte de cette réalité pesante que je ne pouvais plus fuir. Des heures passèrent durant lesquelles je tâchais de me battre contre ma douleur et ma peine.
J’avais caché du tabac et des allumettes dans les pans de ma veste, et je fumais discrètement cigarette sur cigarette. À travers la vitre de la porte blindée, je voyais tour à tour des hommes partir en direction des fourgons pénitentiaires qui les attendaient à l’extérieur. Par groupe de quatre, la tête baissée, ils avançaient les uns derrière les autres et me jetaient des regards interrogateurs lorsqu’ils passaient devant moi : le style “lunettes, chemise et pull en lin” que j’avais adopté pour l’audience tranchait radicalement avec leurs survêts pliés, les chaussures sans lacets, les cheveux en bataille et les barbes de trois jours.
De temps à autre les policiers qui prenaient leur service venaient devant ma cellule, avertis par leurs collègues de ma présence ici, comme pour regarder un animal en cage dans un zoo, parfois menaçants, parfois intrigués, lâchant insultes directes ou messes basses à un collègue.
Un peu plus tard dans la soirée, les verrous claquèrent et la porte s’ouvrit. Trois policiers me sortirent de la cellule et m’escortèrent jusqu’aux portes du dépôt. J’étais trop épuisé pour continuer à répondre aux provocations policières et je faisais profil bas. Je rejoignais quatre hommes qui attendaient dans un fourgon cellulaire.
Tour à tour, on nous prit nos “fouilles”. Nos sacs, ceintures et lacets furent jetés dans le coffre. Ces fourgons, je les connaissais pour avoir déjà eu l’occasion de les occuper lors des transferts que j’avais eus à faire à Villepinte.
J’étais placé, comme les autres, dans un placard fermé à double tour à l’arrière du véhicule. Une cage métallique, presque totalement cloisonnée dans laquelle, tout mouvement m’était quasi-impossible. Debout, ma tête touchait le plafond, et je pouvais à peine écarter les bras.
Un petit promontoire métallique était fixé à l’arrière, sur lequel je pouvais à peine m’assoir tant mes genoux et mon dos étaient compressés contre les parois d’acier. Une fois assis, je mettais plusieurs minutes à me relever, et tout autant à me rassoir.
Je me tortillais inutilement dans tous les sens pour trouver une position confortable, avant de comprendre que la fonction même de ce box était d’être le plus inconfortable possible, pour empêcher tout mouvement aux hommes qui pourraient laisser exprimer leur colère face à la situation qui était la leur.
Une fois l’intégralité des prisonniers enfermés dans ces cercueils, les policiers prirent place, deux à l’avant du véhicule et un à l’arrière en charge de nous surveiller. Le conducteur avertit son collègue : “c’est nous qui avons l’autre bâtard, on va s’amuser un peu”. Tous mirent alors leurs ceintures et le véhicule démarra.
— Publié le 23 mars 2017.¶