Les premières minutes furent un véritable enfer, pour moi et les autres hommes séquestrés dans le fourgon. Le conducteur accélérait soudainement et pilait à chaque feu rouge, appuyant ses virages en changeant de direction le plus brutalement possible.
J’étais successivement projeté contre toutes les parois métalliques du box. Je posais un pied contre le petit banc en fer, et je forçais sur mes jambes pour rester collé contre la façade, les deux coudes bloqués contre les deux côtés du placard. Je suais à grosses gouttes et je respirais très mal. Un des hommes enfermés se mit à vomir bruyamment et une odeur acide envahit le véhicule.
Le policier en charge de la garde des box jurait en se bouchant le nez. Il dit au conducteur : “arrête le massacre, y’en a un qui a gerbé partout ! –lequel ? – le roumain je crois – bah il nettoiera sa merde quand on arrivera“.
Je profitais de ce moment d’accalmie pour essayer de m’assoir. J’étais parvenu à caler mes genoux contre une paroi, et assis, je maintenais ma tête entre mes mains pour éviter les secousses. Je me concentrais sur ma respiration le temps de reprendre mes esprits, respirant par la bouche à cause de l’odeur immonde qui avait envahie le fourgon.
Quelques minutes plus tard, je pus me relever et constater que les flics étaient passés à autre chose. Le policier qui nous surveillait avait ouvert une trappe sur le toit pour aérer le véhicule et s’était assis, smartphone en main et écouteurs sur les oreilles. De mon box, je pouvais apercevoir une partie de la vitre arrière du véhicule.
Je regardais le monde extérieur défiler devant moi, découpé dans le petit cadre supérieur de la fenêtre. Les lumières de Paris, ses lampadaires, ses feux rouges, ses platanes et ses immeubles blancs étaient presque les seules choses que je pouvais voir sous cet angle. Impossible d’entrevoir un seul être humain. Je reconnaissais certaines rues, les places, les boulevards et les longues avenues du sud de Paris. J’avais la gorge serrée en pensant à cette ville dans laquelle j’ai grandi, cet univers familier que je voyais s’échapper derrière cette petite vitre en verre.
Les premières discussions entre prisonniers commencèrent alors que nous quittions Paris, à travers les petits trous percés dans les box pour nous permettre de respirer. Un homme qui semblait très jeune appelait d’une voix faible : “ouais les gars ? vous venez d’où ?”. Il se présenta disant qu’il avait 18 ans et que c’était sa première incarcération. Il semblait inquiet et avait besoin de mesurer le caractère de ses futurs semblables.
Un autre homme, qui se présentait comme ayant déjà fait de la prison en particulier à Fleury où nous nous rendions, et moi, tachions de rassurer le plus jeune qui posait beaucoup de questions. Il demandait si “les autres“ étaient violents, si c’était “chaud à Fleury niveau bagarre“, et plein d’autres questions que se pose forcément “un primaire“, un nouveau venu, l’originalité de celui-ci étant qu’il les posait vraiment.
L’homme qui avait rendu le contenu de son estomac semblait aller mieux, et s’attachait à nous dire où nous en étions du trajet, parce qu’il avait un point de vue supérieur au nôtre sur l’extérieur, et voyait le nom des villes sur les panneaux indiquant les noms de rues.
Le plus “ancien” d’entre nous, qui s’était présenté comme un homme de 26 ans, sans papier, originaire du Maroc et qui était sorti de Fleury trois semaines plus tôt, continuait à apprendre les rudiments et les fondamentaux de la vie de taulard au jeune qui l’écoutait attentivement. Il racontait qu’il avait menti sur son âge lors de sa dernière incarcération pour pouvoir éviter l’expulsion et avoir dit qu’il avait 17 ans. Il était ainsi sorti libre il y a quelques semaines, mais cette fois il ne pourrait certainement pas éviter le centre de rétention car la fausse date de naissance qu’il avait utilisée lui donnait à présent 18 ans révolus. Plusieurs fois au cours du trajet il avait interpellé le chauffeur pour lui demander d’aller plus vite. Il avait espoir d’arriver avant minuit pour être enregistré aux greffes de la maison d’arrêt à la date du 2 juin, et non du 3, pour gagner un jour sur les six mois de prison ferme dont il venait d’écoper à la suite d’une comparution immédiate pour vol en réunion.
À l’intérieur des boxes, nous ne pouvions pas vraiment nous voir, si ce n’est qu’entrapercevoir des formes sombres à travers les vitres lorsqu’une lumière extérieure pénétrait dans le fourgon. Nous n’étions que des voix qui se répondaient faiblement, couvertes par les hurlements des sirènes qui résonnaient à travers les parois du camion. Alors que chacun conversait sur les affaires des uns et des autres, le camion se mit à ralentir.
Je compris que nous arrivions à destination, et je tournais ma tête en direction de la vitre. Le silence régnait dans tout le véhicule à l’approche de l’arrivée imminente. Je n’aperçus d’abord qu’une lumière artificielle, la voiture marqua un nouvel arrêt. Redémarrage et à nouveau le ciel et l’obscurité. Un arrêt encore, cette fois un peu plus long. Et à nouveau cette même lumière. Je ne le savais pas encore mais nous traversions un à un les sas de sécurité qui conduisaient à l’intérieur de la prison.
Après avoir stoppé le véhicule, le conducteur en sortit. Personne n’avait encore prononcé un mot. Les portes arrière du fourgon s’ouvrirent soudainement. Le policier à l’arrière se leva et sortant ses clefs de sa poche, il me lança un “Allez sors de là toi !“. En ouvrant la porte du box, il m’indiqua d’un coup de tête de sortir par l’arrière. Je sortis lentement, encore tout engourdi du trajet, jetant un coup d’œil dans le box du plus jeune que je voyais remuer dans la pénombre. Bien qu’ayant déjà effectué quatre jours de détention à Villepinte, je n’étais pas vraiment plus rassuré que lui. J’avais la nausée et le tournis à la suite du voyage, mes bras et mes jambes étaient endoloris.
Après une brève hésitation, comme si j’avais encore le choix, je sautais du camion pour atterrir dans un grand sas éclairé par des néons qui m’éblouirent violemment, après une heure cloitré dans l’obscurité. J’observais la pièce vide et sans issue dans laquelle était garé le camion. Face à moi, une porte ouverte donnait vers l’intérieur du bâtiment devant laquelle d’autres hommes en bleu encore attendaient en ligne, les bras croisés et le regard froid. C’était la première fois que je voyais ces uniformes et les hommes qui les portaient : des “matons“ comme je les appelais avant d’atterrir ici, des surveillants comme je finirais par les appeler, et que je verrais dorénavant chaque jour et chaque instant lors de mes déplacements dans la prison.
Je me tournais une dernière fois vers le camion qui m’avait amené jusqu’ici. Un des flics était en train de sortir les autres prisonniers, pendant que les deux autres fumaient une cigarette accoudés sur le fourgon. L’un d’eux me fit ses adieux d’un
“bienvenue chez toi, bâtard“.
— Publié le 29 mars 2017.¶