AVANT LE 21 MAI 2016, la prison, dans mon imaginaire, c’était la fameuse carte du jeu de monopoly et cette phrase “allez directement en prison sans passer par la case départ”, des peurs enfantines liées aux films noirs regardés en famille, les dessins animés de Tex Avery avec les vêtements rayés noirs et blancs, les boulets accrochés aux chaussures, le bagne…
Dans ma vie de tous les jours la prison c’était les fourgons qui passaient rue Monge pour aller ou revenir du palais de justice, le bruit des sirènes, des images à la télévision, les échanges sous les fenêtres entre les prisonniers et leur famille entendus à la radio, un bâtiment gris et sale devant lequel je passais lorsque j’empruntais le boulevard de la Santé avec petits sacs plastiques accrochés aux barreaux à l’extérieur des fenêtres pour conserver la nourriture certainement apportée par les proches…
Mais surtout c’était réservé aux autres ; c’était tabou; c’était moche ; c’était terrible mais cela ne faisait pas partie de ma vie.
Très facile d’ignorer tout ça sans s’en préoccuper puisque je n’étais pas concernée.
Le 18 mai 2016, ma fille m’apprend qu’Angel a été arrêté en bas de chez lui et est en garde à vue.
“*Angel ? Angel ton amoureux ? Angel qui a dormi ici il y a trois jours ? Angel que j’adore ? Angel qui est si doux ? Mais pourquoi ? Mais comment ?”*
Il faut attendre. Il peut rester plusieurs jours en garde à vue.
Il y restera 72 heures.
72 heures où le temps s’arrête.
72 heures où l’on retient son souffle.
72 heures où l’on essaie d’en savoir plus.
72 heures ou l’on ne sait rien !
Le 21 mai 2016, on apprend que la juge des libertés et de la détention a envoyé Angel à Fleury Merogis.
Ma fille pleure. Elle me dit qu’elle ne le supportera pas. Qu’il n’a rien fait mais que ça craint vraiment. Je pleure. C’est la panique. Je cours chez un ami, ancien avocat en droit pénal. Il faut qu’il m’explique. La garde à vue, la juge, les avocats. Angel n’a rien fait mais il me dit qu’il peut être incarcéré un certain temps en attendant l’évolution de l’enquête, mais combien de temps ? J’essaie de comprendre, je le fais répéter. J’essaie de me calmer et cet ami a beau m’expliquer les étapes de la procédure et tous les risques encourus par Angel, je me dis qu’il va être libéré puisqu’il n’a rien fait.
Ce soir-là Angel dormira en prison.
Dorénavant, ce mot n’appartient plus seulement à mon imaginaire.
La prison ne concerne plus seulement les autres.
La prison fait partie de ma vie.
Angel y restera 45 jours et pendant 45 jours je ne supporterai pas l’idée de ce gamin privé de liberté !
Depuis le 21 mai 2016,
je sais que la prison c’est une porte qui reste fermée 22 heures sur 24. Une porte qui ne s’ouvre que lorsque quelqu’un de l’extérieur le décide.
La prison c’est un espace de quelques mètres carrés qu’il faut partager avec un co-détenu que l’on ne choisit pas.
La prison c’est la privation de ses libertés.
La prison c’est un espace de non-droit.
La prison ça n’est pas que dans les films, les dessins animés ou la télévision.
La prison peut faire partie de la réalité, de notre réalité à tous.
À 18 ans, Angel a passé 45 jours en prison alors qu’il était innocent.
— Publié le 21 mars 2017¶