J’AI DÉCOUVERT Villepinte le mardi matin en allant porter moi-même le sac de linge d’Antonin. Je ne voulais pas laisser d’autres que moi s’occuper de cette tâche, il fallait que j’aille voir par moi-même, pour donner une réalité à mes fantasmes.
J’ai roulé longtemps sur l’autoroute jusqu’à la sortie de Villepinte, pour déboucher rapidement sur un rondpoint qui dominait la maison d’arrêt…je n’ai pas eu à la chercher : c’était un bâtiment massif à l’américaine, d’un rouge qui était devenu gris, avec des miradors tout autour.
Il ne semblait y avoir aucune vie. Le parking était triste et sale. J’ai pris mon sac et suis allée à l’accueil, un tout petit accueil, rempli de casiers, quelques bancs où attendaient les familles, un guichet où se présentaient essoufflées des familles en retard pour l’appel. En attendant mon tour, j’ai vu des mamans arriver en retard, car elles ne savaient pas comment s’y prendre, et à qui on refusait l’entrée du parloir. Elles pleuraient, demandaient à être reçues, mais rien à faire. La porte leur resterait fermée. Une jeune femme, belle, maquillée, en fourrure, avec un landau et une petite fille tout de rose vêtue, comme pour un mariage…des parents refaisant le sac de linge, cherchant un casier, d’autres sur les bornes tentant d’obtenir un rendez-vous…
Ces scènes presque silencieuses ou personne ne parlait fort, où tristesse et malheur marquaient les visages, malgré tous les efforts que certains faisaient pour faire une fête de ce rendez-vous, m’ont mis les larmes aux yeux.
Une surveillante est venue chercher mon sac, l’a vidé sur une table, et a compté chaussettes, caleçons, tee-shirts…elle a retiré les photos tirées sur l’imprimante que j’avais apportées, il fallait du papier photo…elle n’a pas vu le petit mot roulé dans le passant du short que les amis avaient glissé, ni le mot d’amour que sa douce avait écrit dans une page du livre.
Je n’ai pas eu le temps de connaitre Villepinte ; le soir-même je retournais à la maison d’arrêt chercher Antonin, remis en liberté. Il m’attendait dans ses mêmes vêtements qu’il y a trois jours, avec son sac en plastique, devant l’entrée sur la route, seul, sans argent, sans carte de transport, sans téléphone. La nuit tombait, je voyais sa pauvre silhouette se découper devant les murs sombres de la prison. Il ne souriait pas et était épuisé.
Ma rencontre avec Fleury s’est faite quelques jours plus tard. Mon plus jeune fils, Angel, n’avait pas eu la chance d’être bien défendu, et avait été maintenu en détention.
Je me suis perdue à la sortie d’autoroute. On n’indiquait nulle part la maison d’arrêt. Je suis arrivée à Sainte-Geneviève par la forêt, j’ai fait demi-tour et cherché un moment, jusqu’à arriver devant une vaste zone ouverte qui ressemblait à un aéroport.
J’ai avancé, les panneaux indiquaient MAF, MAD, MAJ, EDIS, je n’y comprenais rien. J’ai avancé encore jusqu’à d’immenses parkings. Les bâtiments vus à hauteur d’homme étaient moins impressionnants, il y avait des couleurs, vert, bleu, rouge, jaune, de la verdure partout…c’était presque beau.
La maison des familles était grande, lumineuse, il y avait des familles assises sur les bancs dehors, des enfants jouaient ; les surveillants arrivaient à pieds ou à vélo.
Je me suis présentée à la porte avec un sac de linge, ma pièce d’identité. Je n’avais pas de permis, juste le droit de déposer des affaires. Le portique a sonné à mon passage; après m’avoir fait enlever mes chaussures, ma ceinture, on m’a dit d’aller retirer mon “soutif” à la maison des familles et de revenir vite.
Comme presque toutes les femmes qui viennent pour la première fois à Fleury, j’ai couru m’enfermer dans des toilettes infâmes, pour me déshabiller, remettre mon soutien-gorge à armatures dans le casier et repartir en courant, tenant ma poitrine sous mes bras croisés contre moi. Je suis passée, je n’ai pas sonné.
Quand je suis arrivée au dépôt de linge, il était fermé, on me refusait le dépôt. J’ai demandé de l’aide à un surveillant, mais il n’y avait rien à faire. J’ai eu l’impression qu’il ne savait pas répondre à une situation qui sortait du fonctionnement habituel. Des robots uni-tâches.
Je ne comprenais rien, personne ne me comprenait. C’était pure folie. Je suis repartie, mes premières larmes ravalées, mes premières humiliations et mes premiers coups pris à la prison : je n’étais plus une femme comme les autres, mais une mère de détenu, à traiter comme telle.
— Publié le 15 mars 2017¶