LE 2 JUILLET 2016 après 44 jours de détention à Fleury-Mérogis, Angel obtient l’accord de mise en liberté provisoire sous contrôle judiciaire. Il part chez sa grand-mère à Pornic et doit pointer à la gendarmerie une fois par semaine. La cour décide immédiatement de faire appel et la date est fixée au 7 juillet 2016.
Ce matin-là Angel se rend au palais de justice sans savoir ce qui l’attend. Peut-être devra-t-il retourner en prison le jour-même. Sa maman lui prépare donc un sac avec quelques affaires au cas où.
De mon côté je ne me rends jamais au palais de justice avec eux et me contente d’attendre avec une grande fébrilité le sms qui me donnera le retour des décisions. Mais ce 7 juillet l’attente est insurmontable. Impossible de faire quoi que ce soit. Impossible de me mettre à ma table de travail comme chaque jour. Impossible de penser à autre chose qu’à cette décision à laquelle nous sommes tous suspendus.
Alors je décide de me rendre au plus proche de l’issue de cette décision. Je pars en direction de Cité. Il fait très beau ce jour-là.
Je choisis de m’installer à la terrasse “des deux palais” juste en face de ces impressionnantes marches du palais de justice. Il doit être onze heures et je ne sais pas combien de temps je vais rester là. L’urgence était de venir ici. D’être là. Pas loin. De voir. Je ne sais pas encore quoi mais de voir pour peut-être essayer de mieux comprendre ce qui se passe ?
Je cherche une table bien placée ; une table d’où je vois les gens ressortir du palais. Je ne sais même pas si c’est par là qu’Angel va ressortir si par bonheur il ressort. J’imagine que c’est par là.
Je change plusieurs fois de table avant de décider que celle-là est idéalement placée. Alors je fixe les marches. Je regarde chaque silhouette qui va et qui vient. J’invente des histoires sur toutes ces personnes qui passent par le palais de justice. Et puis j’écoute tout ce qui se dit aux tables voisines occupées en majeure partie par des avocats qui viennent de plaider ou bien qui vont plaider.
C’est très nouveau pour moi.
Je ne comprends pas tout et surtout je suis surprise par le détachement, la banalité avec laquelle ils parlent de leurs affaires. Ce café semble être un lieu de rendez-vous de collègues de travail. C’est un lieu qui m’impressionne et où je fantasme totalement. J’essaie d’afficher un air détendu et détaché comme ces personnes en robes noires qui vont, viennent et discutent librement, humorisent même. Certains mangent.
Il y a même des touristes qui passent commande.
Moi je ne peux rien manger.
Je commande une bière.
J’en commanderai peut-être deux, trois, je ne sais plus.
Je tends l’oreille.
Et s’ils parlaient d’Angel ?
Je commence ces jeux stupides auxquels il m’arrive d’avoir recours lorsque j’espère très fort une réponse positive :
Si je compte jusqu’à 10 et que le feu passe au rouge c’est bon signe !
Si trois voitures rouges s’arrêtent au feu c’est bon signe !
Je meuble cette attente comme je peux.
Je crois même que j’ai fait un effort de mémoire pour réciter une prière.
Tout est bon pour envoyer de bonnes ondes.
Comme cette attente est longue.
20 fois……30 fois je regarde mon téléphone portable pour être certaine qu’il est allumé.
Je sors mon carnet et je commence à faire quelques croquis. Et puis tout à coup ce que j’étais venue voir apparaît ! Depuis le début de l’incarcération d’Angel, un petit animal est venu ponctuer ces 45 jours d’attente. Un jour, la maman d’Angel m’avait raconté que lorsqu’il avait 6 ans, il avait trouvé un petit escargot à Paris qu’il avait tenu à ramener à la maison. Après lui avoir dit et redit que ce n’était pas une bonne idée, Angel persistait dans son projet. En passant devant le jardin de la Fondation Cartier, la maman d’Angel lui propose de l’y relâcher en lui disant qu’ainsi il deviendrait le roi protecteur des escargots.
Angel finit par obtempérer. Depuis ce jour-là l’escargot est devenu son animal fétiche. Un matin, alors qu’Angel était en prison, un escargot est venu sur le balcon de l’appartement familial. C’était la première fois, c’était un signe !
Un autre jour, en week-end dans ma maison de campagne, j’ouvre les volets et un bel escargot de bourgogne se trouve derrière les volets : c’était un signe !
Et voilà que le 7 juillet, je suis à la terrasse de ce café à attendre la décision pour Angel, et devant moi passe un petit garçon de 4 ans, tout souriant, qui traine à l’aide d’une corde un petit escargot en bois fixé sur une planche avec quatre roulettes ! Jamais je n’en avais vu auparavant. C’était un signe !
J’ai pris mon crayon et je l’ai dessiné. Une heure après je reçois un sms : “la cour vient de confirmer la remise en liberté provisoire pour Angel.” Quelques minutes après, je retrouve le beau sourire d’Angel, ses parents et ses amis.
Il faisait beau ce jour-là !
— Publié le 27 mars 2017.¶
Éléments de contexte
Le 18 mai 2016, à Paris, en marge d’une manifestation contre les violences policières, une voiture de police est incendiée avec deux agents à l’intérieur qui seront légèrement blessés. Quatre jeunes gens, dont Antonin Bernanos, 21 ans et son frère cadet Angel, 18 ans, tout deux étudiants, sont arrêtés. S’ils reconnaissent leur présence sur les lieux, ils contestent fermement avoir pris part aux violences. Suite à leurs gardes à vue, ils sont envoyés à la maison d’arrêt de Villepinte pour l’un, à Fleury-Mérogis pour l’autre. Angel sera incarcéré 42 jours. Antonin est, depuis 9 mois, toujours enfermé, en attente de son procès.
Sommaire
• Lire le témoignage d’Antonin Bernanos — L’arrestation
Murs à part n°1
• Lire le premier volet du témoignage de Geneviève Bernanos — L’annonce de la prison
Murs à part n°2
• Lire le témoignage d’Yves Bernanos — Avant Fleury
Murs à part n°3
• Lire le deuxième volet du témoignage de Geneviève Bernanos — La prison
Murs à part n°4
• Lire le troisième volet du témoignage de Geneviève Bernanos — L’arrivée à la prison
Murs à part n°5
• Lire le témoignage de Christine — La prison, avant, c’était…
Murs à part n°6
• Lire le deuxième volet du témoignage d’Antonin Bernanos — Dans la cage
Murs à part n°7
• Lire le deuxième volet du témoignage de Christine — L’attente
Murs à part n°8
• Lire le troisième volet du témoignage d’Antonin Bernanos — Dans le fourgon
Murs à part n°9