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Au Liban, les prisons à l'ombre du droit

Retour d’une scène tristement célèbre au Moyen-Orient : vendredi 16 octobre, un jeune homme a tenté de s’immoler par le feu. Mais, détail impromptu, ce geste radical a eu lieu devant le tribunal militaire de Beyrouth, capitale d’un des seuls pays arabes à ne pas avoir connu son printemps.

Hospitalisé, ses jours ne sont pas en danger. Son acte visait à dénoncer le maintien en détention provisoire de Warif Sleiman et de Pierre Hashash, deux activistes du mouvement citoyen “Vous puez”, qui a fait descendre des milliers de citoyens libanais contre la mauvaise gestion de la crise des déchets au pays du Cèdre.

Depuis le début des protestations en août dernier, “plus de 100 manifestants ont été arrêtés, puis relâchés, après avoir été victimes d’humiliations et de mauvais traitement”, affirme Wadi el-Asmar, secrétaire général du Centre libanais des droits humains (CLDH). Selon lui, “outre le fait que Warif et Pierre n’auraient pas dû être arrêtés, le fait qu’ils soient jugés par le tribunal militaire ajoute au ridicule. Ils sont poursuivis pour détérioration de matériel militaire… Car ils ont tiré les fils de barbelé qui empêchaient les manifestants d’avancer !”

Parti d’une prise de conscience écologique, le mouvement « Vous puez » est vite devenu le catalyseur du ras-le-bol citoyen contre la corruption et la paralysie d’un système politique convalescent.

Or, les défaillances du système judiciaire et la vétusté de la politique carcérale libanaise en sont les symptômes les plus dangereux.

En détention provisoire depuis plusieurs semaines, Warif Sleiman et Pierre Hashash sont dans l’attente d’un jugement du tribunal militaire.

Au Liban, tant le recours abusif à la détention que celui de la justice militaire auraient dû être réévalués depuis longtemps. Raja Abi Nader, responsable de la réforme du système carcéral au sein du ministère de la Justice, reconnaît dans une interview avec Equal Times que “les compétences du tribunal militaire sont aujourd’hui très élargies. Il a été créé en 1958, en période de guerre, et une réforme doit être envisagée.”

Abi Nader ajoute que la détention est utilisée de manière abusive au Liban : « Il n’y a pas d’alternative à la prison. La conditionnelle est utilisée de manière exceptionnelle, le travail d’intérêt général n’existe que pour les mineurs. Le ministère de la Justice a soumis un projet de loi pour développer ces alternatives il y a plus de deux ans. Pourquoi ça prend autant de temps ? Parce que le pays est paralysé ! Le Liban a passé plus de temps sans parlement et sans gouvernement qu’avec. Et voilà plus d’un an que nous sommes sans président ! », déplore-t-il.

Alors en attendant, la justice traîne, les prisons débordent et la corruption progresse.

Au Liban, plus de 60 % des prisonniers sont en détention provisoire. En attendant un jugement « qui peut prendre jusqu’à deux ou trois ans dans certaines chambres de correction » selon Ziad Achour, avocat pour l’Association justice et miséricorde (AJEM), ils croupissent dans l’une des 23 prisons du pays. Une seule, la prison de Roumieh, a été conçue pour l’accueil de prisonniers. Construite dans les années 1960 pour accueillir 1050 détenus, on en compte aujourd’hui 3151.

Les autres ‘prisons’ sont des étages de caserne militaire auxquels on a ajouté des barreaux aux fenêtres.

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