Dans ces temps incertains, le discours idéologique l’emporte sur la raison et sur le constat. S’il faut en administrer la preuve, il suffit de comparer le coût d’une journée de prison pour la collectivité à celui de la sanction pratiquée dans la communauté. La première a tout faux : elle est plus onéreuse et davantage porteuse de récidive que la seconde. Certains voudraient nous faire croire (et certains croient encore) aux sempiternelles prisons quatre étoiles. Les personnes détenues et leurs proches découvriront, au-delà d’une précieuse attention aux maux qu’ils
endurent, une véritable solidarité. Donc une écoute et un début de réconfort.
Les prisonniers ne sortent pas de nulle part : ils ne sont jamais que l’une ou l’un d’entre nous, à un certain moment de notre existence. Ils sont nous.
Les professionnels du droit y trouveront matière à étayer leur défense comme leur
démonstration. Les professionnels de la politique les plus alertes – il en reste – y puiseront matière à propositions, à engagement, et même à penser la sanction autrement. Les militants associatifs y viendront ciseler leurs arguments en accédant précisément à ce que d’autres s’emploient à cacher. Les professionnels de l’information y prendront leur part en venant porter la plume dans la plaie.
Tout commence toujours par l’information. Comprenons bien que la production d’un ouvrage d’une telle richesse informative résulte de l’engagement sans faille et désintéressé de l’équipe qui anime la section belge de l’Observatoire international des prisons. Et saisissons bien que plus le ciel s’assombrit, plus des courageux se dressent !
S’il nous intéresse d’interroger les conditions de détention, il nous intéresse aussi de savoir ce qui conduit l’homme en prison. Surement pas la fatalité ! Surement pas non plus une propension naturelle au crime ou au délit. Les enfants ne naissent pas avec des cailloux dans les poches. Disons-le tout net : la politique pénale, conçue par le dominant, absout le riche et condamne le pauvre, le sans-pouvoir. Celui-là même qui est exclu de la répartition de la richesse.
Louis est un ami. Placé à l’âge de 14 ans en apprentissage, libéré à l’issue d’une très longue peine, il raconte une famille pauvre et unie, un père cheminot éreinté et décédé prématurément, sept frères et sœurs et une révolte. Tout jeune, dans son atelier d’apprenti, il peut lire : Une place pour chaque chose et chaque
chose à sa place. C’est bien de lui dont il s’agit. S’ensuit un refus de l’assignation qui lui est faite. Sa rébellion se traduit plus tard par un braquage de banque et son acte le conduit en prison. Le chemin pour en sortir est long comme un jour sans pain : il passe par des études, des solidarités et des réflexions bâties autour d’un journal de prisonniers, la rencontre d’une femme, la venue des enfants. La vie ne fait pas de cadeau. Ou alors tardivement, et c’est un
bonheur ! Combien ne le rencontrent pas et demeurent à jamais écrasés ?
Le rapport que vous avez entre les mains n’est aucunement un aboutissement. S’il sommeille sur une étagère, son existence est un poids mort.
Dans nos mains, ce rapport est un outil. Un outil pour faire vivre la démocratie.
La démocratie est fort mal en point quand elle reproche au pauvre d’être un paresseux, à l’étranger d’être un voleur et au réfugié d’être un terroriste. Le prisonnier doit alors s’attendre au pire. Et c’est le pire qui arrive. La sanction se transforme en peine et la peine se troque en souffrance. C’est dans son corps et son esprit que le prisonnier doit souffrir. La machine s’y emploie.
Inlassablement, la section belge de l’OIP écoute, apprend, analyse, consigne, alerte et recommande. Une telle attention, dans son apparente banalité, pèse le poids de ses mots. Bien vivants ceux-là. Dans la grande chaine de la responsabilité collective qui invite à changer la prison, l’OIP prend sa part. Toute sa part.