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Cameroun : "nous avons des condamnés dans le couloir de la mort depuis plus de 36 ans"

Ce mercredi marque la 16e journée mondiale contre la peine de mort, dédiée aux conditions d’incarcération des détenus dans les couloirs de la mort. Au Cameroun, un réseau de jeunes avocats, comme Sandrine Dacga Djatche, dénonce des procès inéquitables et le traitement inhumain des condamnés.

Comment est né votre engagement ?

Mon engagement date d’il y a très longtemps. En tant chrétienne protestante, j’ai toujours pensé que nul n’avait le droit d’ôter la vie, même de manière “justifiée”, et que seul Dieu avait ce privilège.

Sur un plan pratique, je me suis vraiment lancée dans le combat contre la peine de mort en 2016, lorsque j’ai intégré l’association RACOPEM : le réseau des avocats camerounais contre la peine de mort. Je côtoie, au quotidien, les condamnés à mort de la prison centrale de Yaoundé mais également, quand j’ai la possibilité de le faire, les autres condamnés à mort de la prison de Maroua, dont certains que j’ai défendus devant le tribunal militaire.

Au Cameroun, la peine de mort existe toujours, même s’il n’y a pas eu d’exécution depuis longtemps ?

Oui, la peine de mort figure toujours dans l’ordonnancement juridique camerounais. Dans notre code pénal, les articles qui renvoient vraiment à la peine de mort comme sanction sont des crimes tels que la sécession, la trahison, mais également le vol aggravé, avec port d’arme ayant conduit à la mort. Depuis 2014, de nouvelles dispositions ont également été introduites par la loi contre le terrorisme et plus récemment par la loi de 2017, qui a modifié l’ancienne existante sur le code de Justice Militaire.

Le Cameroun est effectivement est un pays abolitionniste mais de fait. Il n’y a pas eu d’exécution depuis 1997. Mais l’on se souvient de celles intervenues après le coup d’Etat manqué de 1984, après des procès très expéditifs.

Aujourd’hui, nous avons des condamnés à mort dans le couloir de la mort, depuis plus de 36 ans. Ils attendent inlassablement et ne connaissent pas leur réel statut. Sont-ils condamnés à vie ? Condamnés à mort ?

Et ils attendent dans des conditions que vous décrivez comme inhumaines ?

La peine de mort en elle-même est une condition déjà inhumaine par le prononcé de cette sanction. Et il faut voir la vétusté de nos prisons au Cameroun. Elles datent des années 50, et la surpopulation carcérale avoisine les 300%. Nous avons des prisons qui, en principe, sont conçues pour accueillir 1 000 à 1 500 personnes mais nous avoisinons 6 000 détenus à la prison de Yaoundé. C’est le cas également dans les autres prisons du pays. A Maroua par exemple, qui a une capacité normale de 500 personnes mais qui compte plus de 3 000 détenus.

Et les conditions sont vraiment macabres : dans la prison centrale de Yaoundé ou à Douala, les condamnés à mort sont logés dans un quartier spécial, comme la loi le demande. Mais la prison centrale de Maroua ne respecte pas cette prescription. Là-bas, les condamnés à mort sont mélangés avec les autres détenus en raison justement de l’insuffisance de places.

Quand vous partez de la guérite pour le quartier des condamnés à mort à Yaoundé, vous traversez des immondices, des eaux souillées, un environnement nauséabond. Ce n’est pas vivable. Sans compter des cellules de deux mètres sur trois, une porte, pas de fenêtre, juste une ampoule qui sert d’éclairage, des toilettes à l’extérieur.

Vous imaginez. Si un condamné, un détenu, veut se mettre à l’aise dans la nuit, n’ayant pas de toilette à l’intérieur, il est obligé d’utiliser des instruments de fortune, des seaux, ou même des assiettes…

Autre problème sanitaire, les prisons n’étant pas vraiment équipées de centre hospitalier, le détenu condamné à mort au Cameroun est souvent obligé de faire appel à sa famille qu’il ne voit pratiquement plus dans un grand nombre de cas, du fait des difficultés financières et des difficultés pratiques pour les visites en prison. Parfois, des ONG acceptent de prendre en charge ces condamnés à mort sur le plan sanitaire. Car c’est lui qui doit acheter ses médicaments, et s’il n’a pas de moyens financiers, cela devient très délicat pour sa santé.

Il existe aussi un grand problème d’information.

Énorme. Les condamnés à mort ne reçoivent aucune information : ils sont coupés du monde.
Je me rappelle d’une fois où j’ai demandé à un condamné à mort : “Sais-tu quelle date nous sommes ?” Il m’a répondu : “Ah Maître, bah qu’est-ce que je fais avec la date ? Ou c’est hier, ou c’est demain, ou c’est aujourd’hui, je m’en fous, je suis ici, le matin me trouve, la nuit me trouve.” Cela peut faire rire, mais c’est très profond ce qu’il dit. Il ne s’intéresse plus du tout, mais plus du tout à la vie, au courant de la vie, parce qu’il a été amené, justement, à renoncer à son droit le plus élémentaire : la dignité humaine.

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