Cartographier les "angles morts"

Clémence Beugnot. Les cartes permettent de mettre en valeur des données peu accessibles. Rares sont les personnes qui ont envie de se plonger dans des bases de données et les rapports des ONG… Notre travail consiste à faire la synthèse de ces données et à les rendre visuelles.
Le sujet de la peine de mort est un bon exemple. Pour comptabiliser les personnes condamnées à mort, la recherche des données a été un travail de longue haleine, réalisé par l’équipe bénévole de CartONG en étroite collaboration avec Nordine Drici, président de Planète Réfugiés-Droits de l’Homme (PRDH). Rien ne serait possible sans le travail des organisations qui recherchent et compilent les données, telles que PRDH, Amnesty International, Ensemble contre la peine de mort, la Cornell University et bien d’autres. Pour chaque carte, la première phase est d’identifier les sources utilisables. Il faut ensuite construire une base de données et y ajouter petit à petit les données collectées, puis les faire vérifier par PRDH.
Certains pays font de la rétention d’information et ne partagent aucune donnée sur les condamnations à mort.

L’absence de données est loin d’être neutre. L’équipe chargée de la réalisation des cartes a donc choisi de la rendre visible en hachurant les pays concernés.

La carte ayant posé le plus de difficultés est celle sur les femmes condamnées à mort : les données étaient très parcellaires. C’était aussi l’une des plus intéressantes car nous nous sommes plongés dans le passionnant rapport Judged for More than Her Crime sur les dynamiques de genre dans les condamnations à mort.
Des cartes permettent de visualiser les différentes législations, situer les États abolitionnistes et la répartition des exécutions pays par pays. Il existe beaucoup moins de supports visuels relatifs aux personnes détenues dans les couloirs de la mort. C’est un véritable angle mort. Certains pays en comptent plusieurs milliers qui vivent dans des conditions de détention extrêmement difficiles.
Le principal challenge est de bien faire comprendre que le travail réalisé porte sur les personnes condamnées à mort actuellement détenues, et pas sur les exécutions. Ces dernières sont bien mieux documentées que la détention de condamnés à mort, et c’est justement pour cela que ce projet est innovant. Il s’agit d’élargir la vision de ce qui constitue le système de la peine de mort : il faut prendre en compte les législations, les exécutions, mais aussi le nombre de condamnés à mort et leurs conditions de détention.

CB. CartONG est une organisation support qui vient en soutien à des organisations humanitaires, sociales et de développement, tant au siège que sur le terrain. Notre équipe offre son expertise et ses conseils stratégiques en gestion de l’information, avec un accent particulier mis sur le renforcement des capacités à long terme, en tenant compte de la nature spécifique de chaque structure et contexte. Médecins sans frontières et le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés sont parmi nos plus gros partenaires. Nous disposons aussi d’un réseau de bénévoles qui choisissent de mettre leurs compétences – en développement web, en cartographie – au profit de projets variés.

Récemment, nous avons ainsi développé des projets bénévoles en soutien à des organisations confrontées aux effets de la crise sanitaire en France.

En Auvergne-Rhône-Alpes, deux bénévoles ont réalisé une carte web qui permet de mettre en lien des professionnels de l’action humanitaire disponibles pour donner un coup de main et des structures de l’action sociale en demande. Nos bénévoles sont aussi venus en soutien à Action contre la faim à Bordeaux en réalisant des cartes papier recensant les structures ouvertes durant la crise sanitaire (distributions alimentaires, services de santé…). Ces cartes ont été distribuées à des personnes sans domicile fixe.

CB. CartONG attache beaucoup d’importance aux données et aux outils libres (open data). Nous essayons au maximum de privilégier leur utilisation, y compris dans les projets bénévoles.¹ Par exemple, nous utilisons beaucoup la plateforme OpenStreetMap, une base de données géographiques libre et collaborative. Nous organisons des mapathons – marathons cartographiques – auxquels nous invitons le grand public à contribuer à la cartographie des zones vulnérables et non cartographiées de la planète (camps de réfugiés par exemple) , afin d’optimiser la réponse des ONGs sur le terrain en cas de crises.
Nous travaillons aussi à sensibiliser nos partenaires à l’utilité de partager données et outils avec le reste du secteur de l’humanitaire et du développement – tout en gardant à l’esprit que dans certains cas, cela n’est pas possible en raison d’un impératif de protection des données personnelles ou sensibles.