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Colombie : le laboratoire carcéral de l’oncle Sam

Dès l’an 2000, la Colombie a importé le modèle des prisons étasuniennes marqué par l’isolement des détenus, la militarisation et la multiplication des privations. Interview.

Elle a passé plusieurs mois de sa vie dans les prisons colombiennes. Non pas comme détenue, mais en tant que chercheuse chargée d’une enquête financée par le Fonds national suisse de la recherche scientifique. Sur le terrain, Julie de Dardel a choisi de concilier son rôle de militante au sein du Comité de solidarité avec les prisonniers politiques (CSPP) et celui de chercheuse en sciences sociales.

La Genevoise en a ramené une thèse en géographie défendue à l’université de Neuchâtel, pour laquelle elle a obtenu le prestigieux prix du Swiss Network for International Studies (SNIS). Elle en résume l’essentiel dans un livre paru en novembre dernier, Exporter la prison américaine, le système carcéral colombien à l’ère du tournant punitif. Julie de Dardel y raconte comment la Colombie a servi de laboratoire pour les Etats-Unis dans le cadre de son “Plan Colombie”, qui visait officiellement à anéantir le trafic de drogue dans ce pays. Un échec selon elle. Explications.

La nouvelle prison américaine s’est implantée en Colombie, de quoi s’agit-il?

Julie de Dardel. La politique carcérale des Etats-Unis a connu un tournant punitif étonnant dans les années 1970. Alors que la plupart des spécialistes de la question pénale, y compris les juges et les magistrats, expliquaient que l’incarcération ne permettait pas de réduire la criminalité et prévoyaient son déclin comme instrument de justice, la prison a connu un boom sans précédent aux Etats-Unis. Le nombre des prisonniers a explosé, passant de quelque 380 000 au milieu des années 1970 à 2,3 millions en 2010, avec une proportion sans commune mesure des jeunes Afro-Américains. L’avènement du néolibéralisme a été accompagné par ce basculement dans l’hypertrophie pénale.

Dans le même mouvement, les Etats-Unis ont renoncé aux ambitions de réhabilitation et de resocialisation des délinquants pour se replier sur les dimensions strictement punitives de l’appareil pénal et pénitentiaire. On a procédé à l’isolement des détenus: géographique tout d’abord, avec la construction d’immenses prisons loin des agglomérations et difficiles d’accès; au sein de la prison ensuite, avec une architecture et des règles sécuritaires qui limitent drastiquement les échanges entre les détenus, et entre ces derniers et le personnel pénitentiaire.

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