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Source : Le Monde Diplomatique
Voir le panoramaCôte d'Ivoire : la prison d’Abidjan, laboratoire de la lutte contre le VIH-sida
Excédée par le caïd qui régentait la vie de la prison, la direction a décidé de reprendre la situation en main lors de la mutinerie. Connu dans tout le pays, vedette des réseaux sociaux, le malfrat allait jusqu’à contrôler la circulation dans la MACA et se livrait à toutes sortes de trafics, y compris de médicaments.
En effet, si les antirétroviraux, les antituberculeux et les antipaludéens sont livrés gratuitement au dispensaire de la prison, les autorisations d’accès à l’infirmerie relèvent des prisonniers chefs de building ou chefs d’étage, et sont donc soumises à des passe-droits que doivent verser les détenus malades. Les affrontements armés ont fait officiellement cinq blessés et dix morts, dont un gardien et “le Chinois”. Selon des témoins, ce dernier a utilisé une kalachnikov et une grenade. “Comment a-t-il pu avoir accès à de telles armes ?”, s’interroge un gardien.
Nouveau régisseur de la MACA, M. Amonkou Moussan a été muté en janvier 2016 de Bouaké, au centre du pays, pour prendre la place de son prédécesseur, jugé (trop) corrompu. “Je suis là pour rétablir l’autorité de l’Etat au sein de la MACA”, insiste-t-il. Interrogé trois jours avant les événements, le directeur des affaires pénitentiaires au ministère de la justice, des droits de l’homme et des libertés publiques, M. Babacar Ouatta, ne faisait pas mystère des intentions du gouvernement ivoirien (1) : “La MACA abrite à elle seule entre 40 et 60 % de la population carcérale du pays, selon la fréquence et la proximité des grâces présidentielles. Nous devons veiller à ce que les détenus obéissent aux règles carcérales tout en offrant un accès équitable aux soins pour ceux qui sont atteints du sida, de la tuberculose, de la malaria ou de toute autre affection opportune.”
Des dépistages systématiques
Autrement dit, si l’administration ne veut pas entendre parler de distribution de préservatifs au sein de la prison, elle est consciente de la nécessité de maintenir un taux de prévalence du VIH (virus de l’immunodéficience humaine)-sida le plus bas possible. Entre 2010 et 2015, celui-ci est passé de 5,5 % à 2,7 % à la MACA, contre 3 % pour la population en général. A l’instar de son régisseur, M. Ouatta estime que l’accès aux soins pour les séropositifs et, surtout, la pérennisation de ces soins après la sortie de prison ont “une incidence bénéfique sur la récidive des maladies chez les individus incarcérés”. C’est le résultat des dépistages systématiques du VIH-sida effectués à l’arrivée des prisonniers, mais aussi de leur prise en charge en cas de séropositivité, ainsi que de celle des gardiens et, dans certains cas, des populations avoisinantes, qui peuvent également bénéficier de consultations et de soins gratuits grâce aux financements du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme.
Selon des statistiques fournies par les infirmiers de la MACA, le taux de mortalité a considérablement baissé : sur les 39 décès enregistrés en 2015, huit seulement étaient le fait de la séropositivité, six de la tuberculose, trois du paludisme, cinq du béribéri — cette maladie qui touche le système nerveux du fait d’une mauvaise alimentation — et un seul de la diarrhée. “On est loin des épidémies de choléra ou de diarrhée qui ravageaient le monde carcéral il y a encore dix ans, sans parler de la séropositivité et de la tuberculose”, commente M. Moussan, qui se souvient des “années noires” des deux décennies précédentes, où les prisons ivoiriennes étaient de vrais mouroirs, faute de soins et de médicaments.
Ce qui n’empêche pas les critiques de fuser au sein de la MACA : “Le régisseur veut rétablir la procédure visant à en référer au juge d’application des peines pour la délivrance des autorisations de sortie des prisonniers à des fins sanitaires, ce qui rallonge considérablement les délais, dénonce un membre du corps médical qui souhaite garder l’anonymat. Parfois au péril de la vie des détenus…” Empêché de sortir pour une radio des poumons, un prisonnier est récemment décédé de la tuberculose faute d’avoir été diagnostiqué à temps. En l’absence de portes blindées permettant d’isoler le tout nouveau bâtiment de radiologie de la MACA, qui jouxte la morgue et l’incinérateur également en réfection, les machines achetées — là encore, grâce au Fonds mondial — n’ont même pas été déballées. Le laboratoire, pourtant bien équipé, manque de produits adéquats pour réaliser l’ensemble des analyses épidémiologiques.
La Dr Jeanne d’Arc Assemien Ouattara a débuté comme spécialiste de la nutrition dans le programme Esther, qui forme des personnels médicaux à la lutte contre le sida (2), avant de devenir la personne référente pour l’ensemble des 34 établissements pénitentiaires de la Côte d’Ivoire, dont 22 ont intégré dans leurs prestations des activités de lutte antituberculeuse. Selon elle, la lutte contre le VIH-sida a ouvert la voie à de véritables améliorations sanitaires en milieu carcéral y compris contre la tuberculose et le paludisme. “Les activités VIH ne se limitent pas à distribuer des médicaments et des moustiquaires imprégnées, nous explique-t-elle. Elles incluent aussi des formations pour le personnel sanitaire et les pairs éducateurs, la rénovation de douze infirmeries carcérales et l’achat d’équipements de base, ainsi que des “activités de plaidoyer” pour un investissement de près de 1 million d’euros sur trois ans.”
Lire l’article entier. (Supplément “Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme”)