“À partir de mon arrestation, je suis resté deux semaines au centre de détention des services de police et de sécurité du Caire. Nous étions une cinquantaine de prisonniers, entassés dans une pièce minuscule sans air conditionné, ni fenêtre, ni ventilation acceptable. Cette cellule disposait d’un WC pour nous tous… Parfois, nous étions si serrés qu’il me fallait me tenir debout sur une jambe, puis une autre. Nous organisions des tours pour nous asseoir, nous allonger et tenter de dormir à même le sol.
Nos familles pouvaient nous visiter cinq minutes par jour pour nous donner de quoi boire et manger. Il s’agit ici des pires conditions de détention de toute l’Egypte.
J’ai été chanceux, je n’y suis resté que deux semaines alors que certains y croupissent jusqu’à deux ans…s’ils ne meurent pas avant des conditions sanitaires épouvantables. Sans doute en raison de ma qualité de médecin, défenseur des droits de l’homme, travaillant pour une organisation humanitaire et membre actif du Syndicat des médecins égyptiens, je n’ai pas subi de sévices corporels. Mais beaucoup sont battus, torturés, électrocutés, violés, pendus par les mains pendant plusieurs jours par la police politique.
À Tora, le méga centre pénitentiaire où j’ai été transféré, les conditions étaient relativement meilleures. Mais tout est relatif après l’horreur ! À l’arrivée, sous les cris, l’humiliation et les coups, les détenus sont rasés pour éviter la prolifération de poux et habillés d’un uniforme blanc.
Pendant onze jours, j’ai survécu dans une cellule de trente personnes ne disposant que d’un WC et d’une sommaire douche qui ne fonctionnait que rarement. Nous possédions une couverture pour nous allonger sur le sol et n’avions aucun accès à la cour.
Nos familles, dont nous dépendions pour survivre, étaient autorisées à nous visiter une seule fois par semaine. J’ai, à cette période, souffert de mauvais traitements parce que j’ai critiqué les conditions dans lesquelles nous étions détenus. Plus tard, j’ai été placé dans une cellule retenant une quinzaine de personnes. En tant que prisonnier politique, le travail m’était interdit.
Seuls l’ennui, l’anxiété et l’attente me tenaient compagnie. Les livres sont rarement autorisés à pénétrer l’enceinte de la prison. Avec mes compagnons d’infortune, nous jouions aux dominos ou aux échecs que nous avions fabriqués, en secret, avec les moyens du bord.
J’ai, pendant ces sept mois, vécu la tyrannie du système répressif que subissent les Égyptiens et pu constater par moi-même des conditions très difficiles d’accès aux soins des prisonniers. Les maladies liées à l’enfermement et à l’insalubrité se développent : pneumonies, affections digestives et dermatologiques…L’hépatite C se répand et les décès par crises cardiaques sont nombreux. Ponctuellement, les familles peuvent apporter des médicaments mais généralement en prison toutes les pathologies, même les cancers, sont “soignés” avec du paracétamol !
La problématique de l’eau est cruciale dans notre pays chaud. Or, les bouteilles d’eau minérale vendues par la prison sont hors de prix et inaccessibles pour beaucoup de détenus qui doivent se satisfaire des apports épisodiques de leurs familles, ou s’hydrater avec l’eau du robinet non-potable. Une cause supplémentaire d’affections chroniques qui, dans ces conditions sanitaires et de non accès aux soins, peuvent devenir mortelles.
La plupart des détenus sont emprisonnés sans raison, ou simplement parce que, comme moi, ils sont militants, opposants à cette dictature et à répression générale. Je n’ai pas eu de procès. Je n’avais aucune date de libération n’ayant pas de chef d’accusation très clair… Tous les 45 jours, j’ai vu un juge qui me renvoyait en prison jusqu’à ce que, au bout de sept mois, un magistrat décide de me libérer sans explication. À ma sortie, mon avocat m’a informé que mon dossier avait été transmis aux services de sécurité nationale, ce qui n’était pas un bon signe. Mon retour en prison semblait quasi inéluctable. Alors, j’ai choisi de fuir mon pays. À contre coeur.“
— Publié le 12 avril 2017.¶