Il existe des formes de confinement dans l’enfermement carcéral. Un confinement qui n’est même pas envisageable par des personnes qui vivent à l’extérieur. C’est l’isolement total. Il existe l’isolement décidé par l’administration pénitentiaire pour des raisons de sécurité, pour le fonctionnement de l’établissement, ou pour protéger la personne, et puis il y a l’isolement judiciaire, décidé par un magistrat. Celui-ci, on sait quand il commence, on ne sait jamais quand il termine.
Pas de livre, pas de télé, aucun échange avec personne. Tous les jours dans une cellule avec le droit de sortir une heure, et toujours seul.
C’est généralement imposé aux DPS, les détenus particulièrement surveillés. Je l’ai subi pendant neuf ans. Pendant neuf ans, je n’ai pas adressé la parole à quiconque. Je ne savais plus parler. D’ailleurs, je me suis aperçu que cette période avait duré 9 ans lorsqu’on m’a dit, une fois sorti, que j’y avais passé 9 ans. Moi, mes fonctions intellectuelles, cérébrales ou autres avaient lâché. Je ne savais plus le temps que j’avais passé à l’intérieur.
Comment on tient ? On essaie de lutter par tous les moyens qu’on peut avoir, en faisant des exercices physiques, en essayant de récupérer un crayon et un bout de papier. Mais on n’a pas le droit d’envoyer ni de recevoir de courrier. Le jour, la nuit, manger, ne pas manger, on perd la notion de tout.
À un moment donné l’esprit ne suit pas, on lâche le morceau et tout devient cotonneux. Jusqu’au jour où on se réveille dans une cour de promenade, au milieu de tout le monde ; on ne sait pas ce qu’on fait là, et ça y est, c’est terminé.
La pensée du suicide on l’a forcément, mais se suicider avec quoi ? En isolement, on n’a pas de couteau, pas de fourchette. À part se jeter contre un mur pour s’écraser la boîte crânienne, je ne vois pas. Je n’ai toujours pas réussi à savoir comment, après autant de temps passé seul à ne rien faire, à ne pas savoir où on se trouve, on a encore la capacité de réfléchir et d’envisager un avenir. Petit à petit la vie a repris le dessus tout simplement. L’humain a des capacités en lui, il est bien plus résilient qu’il ne le pense.