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États-Unis : Kim Kardashian est devenue une actrice-clé de la réforme carcérale

Depuis deux ans, elle fait du sort des détenu·es des prisons américaines son cheval de bataille.

L’image avait fait le tour du web en 2018: Donald Trump assis dans le Bureau ovale, sourire crispé de fierté, avec, à sa droite, Kim Kardashian, debout, sobre et impassible. La légende présidentielle était alors trumpienne, soit aussi brève qu’enjouée: “Super rencontre avec @KimKardashian aujourd’hui, nous avons parlé de réforme carcérale et condamnations.”

Il n’en fallait guère plus pour aiguiser l’animosité et le sexisme décomplexé à l’encontre de Kim Kardashian, cible systématique des commentaires hostiles et misogynes. Le tout concentré sur Twitter et en une des tabloïds.

Si Kim Kardashian s’était alors déplacée à Washington, c’était pour défendre le cas d’Alice Marie Johnson, une femme de 63 ans emprisonnée depuis 1996 pour possession de cocaïne et blanchiment d’argent. Elle a été condamnée à perpétuité pour ce premier délit, non violent. Comme le résume alors le New York Times: “Madame Johnson n’avait ni renommée ni fortune, mais sa situation est devenue un symbole pour les militants qui réclament une révision des peines, un exemple d’un système qui, selon eux, a poussé trop loin la punition et touché de manière disproportionnée les Afro-Américains comme elle.”

Ces dernières décennies, la répression de la criminalité s’est en effet traduite par un boum des incarcérations, avec des peines minimales obligatoires et des taux d’incarcération extrêmement élevés, avec une surreprésentation de la population afro-américaine.

La célèbre entrepreneure a donc multiplié les coups de fil –auprès de ses avocat·es, de celle de la détenue et de ses contacts haut placés dont Ivanka Trump, la fille du président, mariée à Jared Kushner chargé, entre autres, de la réforme carcérale. Elle a ainsi décroché un rendez-vous à la Maison-Blanche où elle devait initialement rencontrer Jared Kushner et ses conseillèr·es. Donald Trump a modifié l’agenda à la dernière minute pour discuter avec la célèbre entrepreneuse et communiquer dans la foulée sur cette rencontre du troisième type.

Une Kardashian avocate!?

En se rendant à la Maison-Blanche, Kim Kardashian est allée à l’encontre de celles et ceux qui lui déconseillaient de se montrer auprès de Trump. C’était prendre le risque d’être associée à ses idées et sa politique. C’était risquer sa réputation et donc ses fonds de commerce. Mais la multimillionnaire n’en a cure: “Aider quelqu’un à sortir de prison et à reprendre sa vie versus ma réputation du fait d’aller à la Maison-Blanche, ça n’avait aucun sens pour moi. […] J’irais voir n’importe quelle personne qui a le pouvoir de changer la vie de quelqu’un”, déclarait-elle a posteriori au New York Times.

Jeetendr Sehdev, spécialiste du marketing de célébrités et auteur du best-seller The Kim Kardashian Principle, estime que cette indifférence est signe d’un engagement sincère: “Le fait que Kim s’en fiche que les gens la jugent pour sa visite à la Maison-Blanche prouve à quel point elle se soucie de son engagement. Elle était là pour une raison: la réforme des prisons.”

Une semaine après cette première rencontre présidentielle, la peine d’Alice Marie Johnson était commuée par le président. Une goutte d’eau pour les personnes défendant une réforme globale du système carcéral; une première victoire pour Kim Kardashian.

Ce n’est qu’un début. Le sort des détenu·es aux États-Unis, notamment les longues peines et les question de réinsertion sociale et professionnelle, est devenu son nouveau cheval de bataille. Dans la foulée, Kim Kardashian a annoncé vouloir devenir avocate, et plus récemment, vouloir monter un cabinet qui vient en aide à ces personnes. Autant de déclarations qui ont fait glousser (voire s’étouffer) les sceptiques.

“Elle aurait pu s’investir dans une autre cause moins clivante, comme la plupart des célébrités. C’est assez radical de sa part de s’être investie sur cette question de réforme carcérale, un sujet peu populaire, qui touche tout particulièrement les prisonniers noirs”, analyse Dr Meredith Jones, maîtresse de conférences en études culturelles et sociologie à l’Université Brunel, à Londres. La chercheuse s’intéresse depuis plusieurs années à la famille Kardashian comme un objet d’étude tout à fait sérieux et riche en matière d’analyses sur le genre, la race, la sexualité, le travail, la beauté…

Elle a même organisé en 2015 un «Kimposium», une journée d’étude interdisciplinaire sur les Kardashian. Si cette famille presque royale reçoit tant d’animosité, ce n’est pas, d’après la chercheuse “pour leur superficialité ou vanité supposées, mais bien parce qu’il s’agit de femmes qui ont très bien réussi, de leurs relations les unes aux autres, où les hommes ont des rôles très secondaires. Pour beaucoup de gens, Kim Kardashian a tous les attributs d’une femme dite superficielle: comment pourrait-elle alors devenir une avocate crédible?”

Dans l’ombre et la lumière

À contre-courant des railleries, Kim Kardashian a débuté ses études de droit. Elle doit par ailleurs réaliser un stage, comme n’importe quel·le étudiant·e, avec l’abondance financière et un chauffeur en prime. Elle effectue donc dix-huit heures de travail légal par semaine. “Elle écrit des notes de service ou des motions, lit des transcriptions et fait des recherches juridiques pour un groupe de réforme de la justice pénale appelé #Cut50”, résume le New York Times. Elle envisage de passer cette année le «baby bar» –un examen obligatoire pour les élèves en première année de droit fréquentant des écoles non accréditées. Mais elle n’a pas attendu d’être diplômée pour faire bouger les lignes.

Elle a multiplié les appels auprès des gouverneur·es pour les faire pencher en faveur d’une réforme carcérale, a écrit des lettres pour motiver des clémences présidentielles, a payé les frais de justice de prisonnièr·es dispersé·es dans tout le pays. Depuis que la peine d’Alice Marie Johnson a été commuée, la voilà destinataire de centaines de lettres de personnes qui rêvent de bénéficier du même sort. Elle a ainsi œuvré, avec l’aide d’avocat·es, à la libération anticipée de dix-sept individus en trois mois, souligne CNN. Elle a mis en place un partenariat avec une entreprise de VTC pour offrir du covoiturage aux ex-détenu·es afin de leur permettre de se rendre à leur entretien d’embauche.

Kim Kardashian a aussi, voire surtout, œuvré dans l’ombre, avec Jared Kushner, pour faire pencher Donald Trump en faveur du “First Step Act”. Passée en décembre 2018, cette loi vise à étendre la formation professionnelle et les programmes de libération anticipée, et à modifier les lois sur la détermination de la peine, y compris les peines minimales obligatoires pour les délinquant·es non violent·es. Ces derniers jours, elle communique sur le sort désastreux des détenu·es en temps de Covid-19.

Un documentaire –largement édité par l’intéressée– a été diffusé au début du mois d’avril et retrace cet engagement judiciaire comme un plaidoyer en faveur de Kim Kardashian, future avocate. “Ce documentaire est censé montrer Kardashian West s’exprimant pour la réforme, mais on finit par se demander quel changement elle souhaite réellement voir”, regrette la journaliste du Guardian.

Pour Dr Meredith Jones, la célèbre étudiante en droit a déjà fait une différence: “Il n’a pas fallu longtemps au président Trump pour accepter de la rencontrer. Il sait l’influence et le pouvoir qu’elle a. Même si seulement 10% de ses followers [164 millions sur Instagram, 64 millions sur Twitter] prennent sérieusement les posts liés à la réforme carcérale, c’est plus que n’importe quelle personnalité politique peut espérer.”

Mélanges des genres

Mais voilà, cette alliance avec la famille Trump nourrit les critiques. Kim Kardashian a brisé le cordon sanitaire érigé par la plupart des célébrités qui refusaient de se montrer aux côtés du magnat de l’immobilier devenu président. Sous l’administration Obama, c’était (presque) devenu une habitude de voir le président et la First Lady poser avec les célébrités juste pour le plaisir ou pour la bonne cause –Georges Clooney pour le Darfour, Leonardo di Caprio pour le changement climatique, Shakira pour les enjeux d’éducation en Colombie… Le couple présidentiel était devenu un objet à part entière de la pop culture sans que quiconque ne s’émeuve de ce mélange des genres.

En matière de politique, si Kanye West n’a pas caché son soutien (parfois lunaire) à Trump, Kim Kardashian s’est montrée plus réservée. Elle ne s’est pas positionnée pour un·e candidat·e lors de l’élection présidentielle de 2020 mais elle a ouvertement soutenu Hillary Clinton (comme sa mère et ses sœurs) en 2016. Par ailleurs, elle a travaillé avec Be Woke.Vote, une organisation qui encourage à s’inscrire aux listes électorales et à voter; elle s’est inquiétée du sort des enfants non accompagnés à la frontière américano-mexicaine…

Dans leur émission de télé-réalité, les sœurs Kardashian ont visité un planning familial (assez révolutionnaire dans un pays qui s’écharpe encore sur les questions liées à l’avortement). Autant de signes, plus ou moins subtiles, qui révèlent les désaccords politiques de Kim Kardashian avec Kanye West comme avec la politique de Trump. Kim Kardashian n’est pas ouvertement critique à l’égard du président: il reste un allié privilégié dans son engagement pour une réforme carcérale.

Un autre mélange des genres alimente également le scepticisme à l’égard de Kim Kardashian. Pendant qu’elle milite pour la réinsertion des détenu·es, elle poursuit sa carrière de puissante businesswoman mais aussi de femme publique et peu pudique. Son engagement se noie parfois dans un flux ego-commercial, entre promotions de ses marques de cosmétiques, sous-vêtements et autres collaborations.

Pour Jeetendr Sehdev, cela ne fait que renforcer le message puissant que semble, d’après lui, distiller Kim Kardashian: “Oui, vous pouvez être une femme d’affaires prospère, une mère, la meilleure preneuse de selfies au monde et une activiste. Kim envoie un message clair à tout le monde: définissez votre vie selon vos propres termes et ne sentez jamais que vous devez rester sur une unique voie.”