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États-Unis : prison américaine de Guantanamo: 18 années d'un trou noir juridique continu

Ce samedi 11 janvier marque le 18e anniversaire de l’ouverture de la tristement célèbre prison de Guantanamo sur la base américaine située sur l’île de Cuba. A ce jour, une quarantaine de détenus (la plupart Yéménites) croupissent encore dans cette prison de très haute sécurité la plus chère du monde, au mépris du droit international, en imposant une règle : la détention illimitée.

C’est en janvier 2002 que le monde a découvert des images de prisonniers en combinaison orange, enchaînés, les yeux bandés, dans des cages: c’était le camp appelé “X-Ray”. Au plus fort de son fonctionnement, quelques mois après les attentats du 11 septembre 2001 contre les tours du World Trade Center à New York, le centre de détention a enfermé 780 personnes soupçonnées d’être, selon les termes de l’administration Bush, des “ennemis combattants”.

Guantanamo a représenté un trou noir juridique dans la vaste “guerre contre le terrorisme” entreprise par l’équipe du président Georges W.Bush.

Le ministère de la Justice avait alors stipulé que la base de Guantanamo était située en dehors du territoire souverain des États-Unis, et que les cours fédérales n’étaient donc pas compétentes pour examiner les requêtes en habeas corpus (qui permettent à un détenu de contester la légalité de sa détention et lui donnent une chance d’être remis en liberté) – la Cour Suprême cassera ce principe en 2004 dans une décision qui fera jurisprudence, “Rasul contre Bush”, puis en 2008, “Boumediene contre Bush” du nom de détenus de Guantanamo dont les avocats ont pu faire valoir le droit de défendre la légalité de leur détention devant des cours fédérales.

Selon unmémorandum présidentiel datant de février 2002, les détenus ne bénéficiaient pas du statut de prisonniers de guerre, et des techniques d’interrogatoire très poussées ont même été approuvées.

Arrestations, transferts et tortures à Guantanamo

Des centaines d’hommes ont été arrêtés au Pakistan et en Afghanistan où les Américains avaient lancé une riposte contre Ben Laden et les talibans, jugés responsables des attentats aux États-Unis. De nombreuses arrestations ont eu lieu aussi en Égypte, en Bosnie, au mépris du droit international.

Souvent torturés dans des pays moins regardants sur les principes des droits de l’homme, ou dans ce qu’on a appelé des “sites noirs” de la CIA, des bases américaines secrètes, ces hommes ont été ensuite transférés sur l’île de Guantanamo. Ils ont encore subi des tortures comme le supplice de la baignoire (water-boarding) et des mauvais traitements (privation sensorielle, torture auditive, alimentation forcée lorsqu’ils étaient en grève de la faim, froid extrême dans des cellules métalliques…).

L’avocate Pardiss Kebriaei du Centre pour les droits constitutionnels représentait en 2016 deux des onze détenus qui ont porté plainte contre l’État américain. Ils estimaient être maintenus illégalement à Guantanamo parce qu’ils étaient musulmans, bien qu’aucune accusation n’ait été retenue contre eux.

“Un des hommes que nous représentions dans cette plainte est un Yéménite de 43 ans, explique Pardiss Kebriaei, il s’appelle Sharqawi Al Hajj, il est détenu sans motif depuis 2002. Avant son transfert à Guantanamo, il a été détenu au secret dans un site noir de la CIA pendant deux ans où il a été sévèrement torturé. Il a été régulièrement battu, torturé à l’électricité, maintenu à l’isolement dans le noir, soumis à des tortures auditives, dissimulé au Comité international de la Croix-Rouge. Il prend des traitements pour des douleurs chroniques, il pourrait ne pas survivre à trois ou sept années d’emprisonnement supplémentaires.”

Quarante personnes toujours détenues indéfiniment à Guantanamo

Parmi les près de 800 détenus qui ont transité par Guantanamo, la grande majorité a été libérée. Environ 197 d’entre eux (originaires du Yémen, d’Algérie, de Chine – comme les Ouïgours - ou encore de Syrie) ont été transférés dans 59 pays tiers, ne pouvant pas rejoindre leurs pays d’origine pour des raisons de sécurité.

Aujourd’hui, une quarantaine de personnes sont toujours incarcérées sur la base américaine, mais elles dénoncent leur détention illimitée, illégale, arbitraire, discriminatoire et sans jugement équitable.

De fait, moins d’une dizaine d’entre-elles ont été accusées par les États-Unis. Ces accusés pourraient être présentés devant des tribunaux militaires américains très contestés. Mais “18 ans après l’arrivée du premier détenu à Guantanamo, aucune commission militaire n’a été jusqu’à présent en mesure de mener à bien un seul jugement jusqu’à son terme”, explique l’avocat Rob Kirsch du cabinet Wilmerhale basé à Boston, qui a représenté plusieurs détenus de Guantanamo.

La trentaine d’autres prisonniers - qui sont eux aussi toujours détenus dans la prison de Guantanamo - pourrait ne jamais être inculpée, poursuit Rob Kirsch. Ils ont fait l’objet de mauvais traitements, ce qui pourrait rendre difficile pour les autorités américaines l’utilisation de preuves qu’elles ont pu obtenir.

“Le département de la Défense américain ne l’a jamais admis, mais beaucoup d’entre eux ont été torturés, et les preuves obtenues sous la torture ne peuvent en aucun cas être utilisées, même dans des commissions militaires”, insiste Rob Kirsch.

Guantanamo restera ouvert de façon indéfinie, selon Trump.

Même sous l’administration Obama, des commissions militaires avaient décidé que 48 détenus ne pourraient être ni poursuivis, ni relâchés. Ils restent dans les limbes du droit, 26 d’entre eux sont toujours détenus par l’administration Trump sans aucune charge ni procès.

Prenant le contrepied de Barack Obama qui avait promis de fermer Guantanamo et tentait de la vider de ses prisonniers en les transférant dans des pays tiers – le Congrès l’en a empêché - Donald Trump a en 2018 signé un décret stipulant qu’il conserverait Guantanamo ouvert de façon indéfinie.

Aucun transfert de prisonnier n’a été effectué depuis sa prise de fonctions. Il avait même annoncé qu’il souhaitait y envoyer des bad guys, des mauvaises personnes, liées à l’organisation de l’État islamique notamment. Mais il n’en a rien fait. En revanche, il n’a procédé à aucun transfert de prisonnier.

Plusieurs organisations de défense des droits constitutionnels représentent ces détenus, à l’instar du CCR (Centre américain pour les droits constitutionnels), inquiet des dernières décisions de Donald Trump. “Sous l’administration Obama, il y avait des agents chargés de négocier avec des pays étrangers pour rapatrier ou relocaliser des détenus de Guantanamo”, rappelle l’avocate Pardiss Kebriaei du CCR. “Toutes ces procédures ont été arrêtées”, se désole-t-elle. “Trump n’envisage de transférer aucun détenu, même pas les cinq qui sont déclarés libérables”.

L’argument financier pour fermer la prison la plus chère au monde

Le sort des prisonniers qui croupissent à Guantanamo n’intéresse pas la majorité de l’opinion publique américaine. “Malheureusement, seul l’argument financier pourrait retenir l’attention des électeurs américains”, regrette l’avocat Rob Kirsch. Car le centre de détention de Guantanamo coûte 13 millions de dollars par an et par prisonnier. Or, le coût d’un prisonnier dans les prisons fédérales américaines de très haute sécurité représente moins de 1% du coût des détenus de Guantanamo, fait remarquer Rob Kirsch.

En outre, les infrastructures sont vieillissantes et devront faire l’objet de nouveaux investissements. La quarantaine de détenus aussi est vouée à vieillir à Guantanamo.