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France : "ça risque d’être une hécatombe", la grande crainte d’une épidémie de Covid-19 en prison

Vingt et un détenus ont été testés positifs au Covid-19. Malgré les annonces faites par la ministre de la justice, les familles s’inquiètent pour la santé de leurs proches incarcérés.

“La grande crainte que j’ai, c’est qu’on m’appelle et qu’on me dise qu’il est dans un cercueil.” Adeline, 33 ans, a la gorge nouée en pensant à son concubin emprisonné en Seine-et-Marne. Si le Covid-19 n’a pour le moment fait qu’une victime parmi les détenus – un homme de 74 ans mort lundi 16 mars à la prison de Fresnes (Val-de-Marne) –, tous craignent les conséquences désastreuses d’une propagation de l’épidémie au sein des 188 établissements pénitentiaires du pays.

Selon un bilan de la direction de l’administration pénitentiaire communiqué vendredi 27 mars, 21 détenus ont été testés positifs et 471 présentant des symptômes sont “en confinement sanitaire, isolés du reste de la détention en cellule individuelle”. Un comptage qui montre un doublement du nombre de détenus contaminés par rapport aux chiffres communiqués jeudi par la chancellerie. Parmi les 42 000 agents pénitentiaires, 793 agents étaient vendredi en quatorzaine et 50 ont été testés positifs au Covid-19.

La « peur du carnage » que pourrait causer une propagation massive du Covid-19 dans les prisons hante les proches de détenus contactés par Le Monde. Audrey, une quadragénaire dont le compagnon est incarcéré dans le sud de la France, explique ainsi être particulièrement anxieuse à l’idée que les distances entre détenus ne soient pas respectées lors des douches collectives ou des promenades.

L’angoisse est à la mesure de la surpopulation carcérale : les prisons françaises comptent plus de 70 000 détenus pour quelque 61 000 places opérationnelles, et la situation est encore plus préoccupante dans les maisons d’arrêt, où la suroccupation frôle les 140 % et où les prisonniers sont fréquemment trois dans une cellule de 9 m2.

Hausse des tensions

Afin d’éviter la propagation de l’épidémie dans les prisons, la ministre de la justice, Nicole Belloubet, avait annoncé le 17 mars la suspension des parloirs pour les familles et les proches des prisonniers. Avec la disparition de ce droit, qui est aussi un outil de gestion de la détention, la tension a encore grimpé d’un cran. Pour apaiser le climat, la garde des sceaux a ensuite annoncé, le 19 mars, des mesures compensatoires : la gratuité de la télévision, une aide financière pour les plus démunis, et un crédit téléphonique de 40 euros par mois.

Des mesures jugées insuffisantes par de nombreux proches de détenus. “40 euros par mois pour téléphoner, ce n’est pas ça qui va empêcher le virus de rentrer dans les prisons. Ça risque d’être une hécatombe pour les personnes fragiles”, redoute Adeline.

La section française de l’association Observatoire international des prisons (OIP) a récemment publié sur son site plus de 70 témoignages de détenus et de leurs proches confirmant la peur qui règne actuellement dans les prisons, notamment pour les plus fragiles. L’amie d’un homme incarcéré à Fleury-Mérogis et atteint du VIH craint pour sa santé tant il est “vulnérable” : “Il ne sort pas, sur les conseils de son avocat, c’est trop risqué pour lui. Mais du coup il ne peut pas téléphoner depuis les cabines.”

Outre la suspension des parloirs, l’arrêt de toutes les activités exacerbe un peu plus les tensions. Sans ces soupapes habituelles, beaucoup redoutent des mutineries violentes ressemblant à celles qui ont eu lieu récemment en Italie et ont fait plusieurs morts. En l’espace d’une semaine, une trentaine d’établissements pénitentiaires français – sur 188 – ont été touchés par des incidents, parfois violents.

Limiter la surpopulation carcérale

Pour tenter de limiter la surpopulation carcérale, la ministre de la justice avait, dans un premier temps, demandé aux juridictions de “différer la mise à exécution des courtes peines d’emprisonnement”, dans une circulaire diffusée le 14 mars. Avec le gel d’une partie de l’activité classique des tribunaux, cela a permis de réduire le nombre d’entrées quotidiennes en prison à une trentaine de personnes ces derniers jours, contre 200 à 300 habituellement.

Nicole Belloubet a ensuite présenté, mercredi 25 mars, plusieurs mesures d’exception afin de simplifier les procédures et de permettre la libération de 5 000 à 6 000 détenus ; 1 600 personnes ont pu en bénéficier depuis la mi-mars. Les juges d’application des peines sont invités à faire preuve de davantage de mansuétude concernant les demandes de réduction de peine et les libérations conditionnelles.

Les détenus qui sont à deux mois de leur fin de peine pourront ainsi être remis en liberté et placés “en confinement à leur domicile » si magistrats et services pénitentiaires sont d’accord. Ceux qui sont à six mois de leur fin de peine pourront quant à eux bénéficier d’un aménagement de peine en travail d’intérêt général. Mais ces mesures « ne concerneront ni les terroristes, ni les criminels, ni les personnes condamnées pour des violences intrafamiliales”, a prévenu la garde des sceaux.

“On refuse de nous donner des gants”

Les mesures de sécurité pour les détenus qui restent en détention sont-elles pour autant suffisantes ? Selon l’avocat Benoît David, les contacts entre détenus et personnels pénitentiaires lors des remontées de promenade restent des sources de stress quotidiennes. Ses clients dénoncent des palpations de sécurité qui ont lieu tout aussi normalement qu’avant l’épidémie de Covid-19.

Selon plusieurs avocats de détenus, les surveillants ne sont pas masqués lors de ces contrôles et ne changent pas de gants entre chaque prisonnier. Jeudi matin, Nicole Belloubet a annoncé sur France Inter la mise à disposition de 116 000 masques pour les surveillants, et 100 000 supplémentaires si nécessaires. “On sait étanchéifier des zones et isoler des détenus malades. En revanche on a effectivement besoin des masques et de gants, même si on comprend que les stocks d’Etat aient été en priorité fléchés vers les personnels soignants”, explique au Monde la direction de l’administration pénitentiaire.

Un manque de matériel qui ne laisse pas d’inquiéter certains détenus. “Il y a cinq grilles à pousser pour aller en promenade, et l’on refuse de nous donner des gants”, s’inquiète sur le site de l’OIP un homme diabétique, détenu à Moulins (Rhône-Alpes-Auvergne), avant d’alerter : “Ça va péter si le confinement continue.”

“Une catastrophe sanitaire”

S’estimant insuffisamment protégés contre le Covid-19, trente et un détenus du sud de la France ont porté plainte mercredi devant la Cour de justice de la République contre la garde des sceaux et le premier ministre Edouard Philippe pour “non-assistance à personne en danger” : “Les conditions sanitaires déplorables, les conditions de détention inhumaines et dégradantes (…) sont autant de facteurs facilitant la contamination, avec potentiellement une issue fatale pour les plus fragilisés”, précise la plainte.

Pour leur avocate, Khadija Aoudia, le manque de savon et l’interdiction du gel hydroalcoolique (tout liquide constitué d’alcool est interdit en prison) sont deux exemples de l’insuffisance des mesures adoptées. “Jusqu’à aujourd’hui, rien n’a été mis en œuvre pour limiter la propagation, estime l’avocate. Et si on continue à ne rien faire, on va être confronté à une catastrophe sanitaire en prison.”

Une crainte partagée par l’avocate parisienne Juliette Chapelle, pour qui les dispositions prises par la ministre de la justice ne sont pas à la hauteur de la crise sanitaire à venir : “Quelque chose ne va pas quand on ne peut pas assurer la santé et la sécurité des personnes placées sous la responsabilité de la pénitentiaire, et donc de l’Etat.”