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France : comment la prison a rendu fou un jeune pirate somalien

Dans Pirate n°7, l’avocate Élise Arfi raconte les quatre années dévorantes passées à défendre Fahran, brisé par le système carcéral français.

Il y a des affaires qui changent une vie, une carrière. Celle d’Élise Arfi, avocate au barreau de Paris, a pris une autre tournure un soir de septembre 2011, quand sept pirates somaliens capturés dans le golfe d’Aden, accusés du meurtre d’un navigateur français, débarquent au Palais de justice. Commis d’office, Arfi hérite du septième pirate, le plus jeune de la troupe, qui risque comme ses comparses 20 ans de prison dans un pays qu’il ne place pas sur une carte et dont il ne connaît pas la langue.

Dans Pirate n°7, qui sort ce vendredi, l’avocate rembobine quatre longues années de cette relation singulière liée avec Fahran, ce jeune homme embarqué dans cette sombre expédition meurtrière, motivée par la faim qui ravage la Corne de l’Afrique. De leur première rencontre jusqu’à son procès, Arfi est la seule personne sur qui Fahran peut compter – n’ayant aucune attache en France. Au rythme des rendez-vous réguliers aux parloirs des prisons de la région parisienne, Arfi tente de préparer au mieux Fahran à sa défense, mais surtout de le garder en vie.

Rapidement après son arrivée en prison, l’état de santé – aussi bien physique que mental – de Fahran se dégrade. Maltraité par le personnel pénitentiaire, le jeune Somalien se prend de plein fouet le « choc carcéral » avant de sombrer dans la démence. Après avoir subi une ablation d’un poumon, sans que personne ne lui ai expliqué ce qui lui arrivait, Fahran est persuadé d’être l’objet d’un trafic d’organes mené par la justice française. Le jeune homme multiplie alors les tentatives de suicide et les passages en quartiers psychiatriques jusqu’à son procès.

Par le prisme de l’indicible expérience vécue par son client, Arfi livre dans un premier ouvrage marquant une lourde charge contre le système carcéral à la française. Pour VICE, l’avocate – qui était plutôt destinée à devenir prof de droit avant de tout envoyer balader et de se lancer dans le pénal – revient sur cette affaire qui a bouleversé sa manière d’exercer.

VICE : Vous écrivez vouloir “être comme les autres [avocats] qui défendent sans s’abîmer”. Mais avec Fahran, impossible de ne pas s’abîmer tant vous êtes proche de lui. Comment s’est nouée cette relation ?

Élise Arfi : Je ne savais pas comment j’allais aborder ma relation avec Fahran. La question ne se posait pas. Elle s’est imposée à moi. Je n’avais plus de recul ni de barrière, parce que, contrairement aux autres clients, lui était seul, dans une détresse absolue, et ne parlait pas un mot de français. Honnêtement, je n’avais pas du tout vocation à m’investir comme ça.

Cette relation je n’en voulais pas, je ne voulais pas être la passionaria d’une grande cause, je ne voulais pas partir en lutte contre le système carcéral. Tout cela ne m’arrangeait pas du tout. Je me disais qu’il y aurait peut-être des répercussions, y compris sur d’autres clients.

Je ne voulais pas être dans ce rôle-là. Mais je n’ai pas eu le choix. Soit je le défendais, soit il mourrait.

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