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France : déconfinement, une galère pour l'administration pénitentiaire

A partir de lundi, les parloirs vont reprendre dans les différentes prisons en France, mais seront encadrés par des conditions sanitaires très strictes et la signature d’une charte.

Comme le reste de la France, les prisons se préparent à sortir d’un long sommeil. Pendant plusieurs semaines, les parloirs, activités, ateliers, interventions extérieures… ont été interrompus pour raisons sanitaires, laissant les détenus dans une situation d’angoisse et de désoeuvrement. Il s’agit désormais de redémarrer la machine carcérale, mais avec beaucoup de précautions. Si la propagation du virus a été évitée jusqu’à présent - 292 agents ont été testés positifs, dont un mort à Orléans, et 118 détenus dont un mort à Fresnes, selon les derniers chiffres - elle pourrait avoir des conséquences désastreuses en milieu clos. Dans une lettre du 6 mai, que Libération a pu consulter, le directeur de l’administration pénitentiaire, Stéphane Bredin, a livré son plan de “déconfinement”. Il s’agit des mesures qui seront appliquées à partir de lundi et jusqu’au 2 juin, date à laquelle la situation sera réévaluée. Le port du masque sera obligatoire pour tous les personnels, les locaux régulièrement désinfectés et il va falloir adapter toute la mécanique interne de circulation ou de promenades. Libération revient sur trois aspects principaux.

Les parloirs vont reprendre avec de strictes conditions

Le redémarrage des parloirs représente un véritable casse-tête pour l’administration pénitentiaire qui doit jongler entre “impératif de protection” et “rétablissement du lien avec les proches”. D’abord, la nouvelle organisation tiendra compte de “l’évolution différenciée de l’épidémie”, précise la note, c’est-à-dire que les établissements situés dans les fameuses “zones rouges” ou ceux présentant de nombreux cas de contamination, pourraient être soumis à un régime plus strict que les autres. Chaque chef d’établissement devra décider localement, avec avis conforme du directeur interrégional. En tout état de cause, lors de la première phase du déconfinement, “un seul visiteur de plus de 16 ans sera autorisé par détenu” et “chaque détenu ne pourra bénéficier que d’un seul parloir par semaine”. Leur durée ne pourra pas excéder une heure.

L’administration pénitentiaire fait face à une situation un peu ubuesque : puisque les masques sont désormais obligatoires pour les visiteurs, comment savoir si c’est la bonne personne qui se présente ? La solution : les proches devront montrer leur pièce d’identité avec photographie tout en retirant leur masque. Pas sûr que ce soit validé par un expert sanitaire… Ce n’est pas tout, ils devront signer une charte de bonne conduite, certifiant qu’ils ne sont pas malades du Covid-19 et qu’ils n’ont eu aucun contact avec des personnes infectées les deux dernières semaines. Ils s’engageront également à respecter les gestes barrières. Cette charte “ne sert à rien, estime un conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation. Cela n’a aucune valeur juridique, ça va occasionner une surcharge de travail inutile pour les personnels alors que le temps pris pour s’assurer des gestes barrières sera déjà important. La bureaucratie dans toute sa splendeur”. “Une idée farfelue”, abonde le syndicat pénitentiaire Ufap-Unsa des Hauts-de-France dans un communiqué très remonté contre “la sécurité sanitaire insuffisante”. Et de s’énerver : “La note DAP prévoit également que les visiteurs aux parloirs devront se présenter avec leurs propres masques. Quoi de mieux pour laisser entrer de véritables nids à virus ?”

Si un visiteur “présente des symptômes évocateurs manifestes” - autrement dit, s’il tousse ? - il sera prié de disposer. Une fois à l’intérieur, les proches n’auront toujours pas le droit d’apporter du linge propre aux détenus et devront s’asseoir à au moins un mètre de distance dans des salles collectives (gymnase, salle polyvalente…) spécialement aménagées. Tout contact physique sera interdit. En cas de non-respect, il pourra y avoir des suspensions de permis de visite, prévient l’administration pénitentiaire. “Comment imaginer ne pas se toucher après aussi longtemps sans se voir ? Il faudrait prévoir du gel hydroalcoolique plutôt que des sanctions”, réagit Cécile Marcel, directrice de la section française de l’Observatoire International des prisons (OIP), s’interrogeant également sur la question de la visite des enfants. “Pourquoi ne pas la permettre au cas par cas ? S’il y a une vitre de plexiglas ca ne devrait pas poser de problèmes”. En effet, s’il n’était pas possible, pour certains établissements, d’occuper les espaces collectifs, ce seront les box parloirs qui seront utilisés avec «un dispositif de séparation physique».

Les permissions seront limitées

Dans sa note, Stéphane Bredin enjoint, à demi-mot, les services d’insertion et de probation à se prononcer défavorablement sur les demandes de permission de sortie “en raison du risque qu’elles représentent sur le plan sanitaire» et “en priorisant seulement les demandes liées à des événements majeurs, notamment familiaux”. “Ce sont les magistrats qui décident in fine mais cela induit quand même une certaine pression, s’agace un juge de l’application des peines (JAP) contacté par Libération. Je ne vois pas comment on va dire aux gens : vous ne sortirez pas voir votre famille.” Il craint que ce décalage avec le reste de la population - qui peut, quant à elle, à nouveau circuler - soit “incompréhensible pour les détenus” voire “une bombe à retardement”. De son côté, Cécile Dangles, JAP à Lille et présidente de l’Association nationale des JAP, souligne : “On souhaite la reprise des permissions de sortie mais c’est une période où les juges, comme tout le monde, réfléchissent à la meilleure façon de procéder. Il faudra que ce soit progressif, tout le monde ne va pas pouvoir sortir d’un coup.”

Les déplacements à l’extérieur ne sont en effet pas simples. Les détenus devront être placés en quarantaine, à leur retour, à moins qu’une politique de dépistages massifs ne soit mise en œuvre. “Or cette quarantaine va dépendre des possibilités d’isolement dans les établissements, note Cécile Dangles. Ce qui est très important c’est de bien expliquer tout cela aux détenus, pour qu’ils puissent aussi faire le choix de sortir ou non.” Des dilemmes cornéliens risquent ainsi de se poser comme cette jeune femme, en centre de détention, qui espère sortir voir sa famille mais s’inquiète d’être ensuite placée en quarantaine pendant deux semaines dans une nouvelle cellule, sans ses cours, alors qu’elle doit passer des examens.

Les activités et enseignements ne sont pas encore d’actualité

L’enseignement reprendra uniquement pour les mineurs dans des salles de classe aménagées pour garantir des distances d’un mètre entre les élèves. Pour les majeurs, il faudra attendre le 2 juin, notamment pour les établissements en zone rouge, car ce n’est pas “un objectif prioritaire”. De même, pour la formation professionnelle, les différentes activités socioculturelles, les cultes ou activités sportives. Quant aux intervenants extérieurs pour l’accès au droit, au logement, ou à l’emploi, ils ne pourront pas faire leur retour en détention dans l’immédiat. “Il faudrait que les compensations qui ont été instaurées au début du confinement comme la télévision gratuite ou les crédits téléphoniques puissent se poursuivre. On pourrait également instaurer des visio avec les proches comme en Espagne ou en Belgique”, note Cécile Marcel.