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France : des pathologies "aggravées par l'enfermement et l'isolement"
Selon ses propres termes, son “constat est accablant”. Dans un rapport publié vendredi 22 novembre, la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) se penche sur la prise en charge des personnes détenues atteintes de troubles mentaux. Et les manquements relevés sont nombreux.
L’autorité administrative indépendante pointe tout d’abord l’absence d’indicateurs permettant de connaître précisément les troubles mentaux dont souffrent les personnes incarcérées. La dernière étude nationale date de 2007. D’autres travaux ont été menés depuis mais ne concernaient que certaines régions. Pourtant, la population carcérale est particulièrement concernée par les troubles mentaux. Selon les chiffres de 2007, “huit détenus masculins sur dix souffrent d’au moins un trouble psychiatrique et, parmi eux, 24% souffrent d’un trouble psychotique”. En outre, 40% des hommes et 62% des femmes en détention présenteraient un risque suicidaire.
Des magistrats pris de vitesse
Malgré le manque de données récentes, le rapport souligne qu’un grand nombre de personnes incarcérées ne bénéficient pas des soins psychiatriques dont elles auraient besoin. “Lorsqu’une peine d’emprisonnement est prononcée, elle est souvent exécutée alors que l’état de la personne condamnée nécessiterait une prise en charge psychiatrique que la prison, contrairement à une idée reçue, parfois même parmi les magistrats, n’est pas en mesure de prodiguer”, écrit la CGLPL.
Sans compter que l’incarcération de personnes qui ne devraient pas se trouver derrière les barreaux aggrave le phénomène chronique de surpopulation des prisons françaises.
“La première priorité, c’est de tout faire pour moins incarcérer les personnes qui sont atteintes de troubles mentaux.” Adeline Hazan, contrôleuse générale des lieux de privation de liberté à franceinfo
“Il faut déjà que les magistrats soient en mesure, au moment du jugement, d’identifier les pathologies mentales, ce qu’ils n’ont pas les moyens de faire”, pointe Adeline Hazan, qui préside l’institution. Pour l’instant, “de très nombreuses personnes atteintes de pathologies mentales sont incarcérées lors d’une procédure de comparution immédiate, qui va très vite”, explique-t-elle.
Un personnel pénitentiaire peu sensibilisé
Sur le terrain, désengorger les prisons est nécessaire pour mieux prendre en charge les personnes malades. Les troubles mentaux des détenus sont négligés car le personnel pénitentiaire, qui a principalement une formation sécuritaire, n’est pas armé pour les détecter et les comprendre.
Le CGLPL a parfois vu des personnes atteintes de troubles mentaux rester enfermées dans leurs cellules, abandonnées à elles-mêmes, sans qu’aucun soignant n’intervienne au motif que “le patient n’avait pas de demande”.
Une situation problématique qui n’aurait pas lieu si le personnel était sensibilisé, estime le rapport.
De l’autre côté, les experts psychiatres souffrent, selon la CGLPL, d’une “méconnaissance du milieu pénitentiaire et des conditions de vie qui le caractérisent”. En revanche, ils connaissent le service public hospitalier, ses “limites” et son “niveau de saturation”. Cela les conduit à conclure de façon rare à l’“irresponsabilité totale” de personnes qui pourraient pourtant être concernées par ce diagnostic.
De façon générale, selon la CGLPL, les “graves faiblesses” dans la prise en charge de la santé mentale en milieu carcéral ont de “lourdes conséquences”. Des pathologies sont “aggravées par l’enfermement et l’isolement”, le risque de suicide est augmenté. De plus, l’accès aux soins pour les personnes qui en auraient besoin est perturbé par les conditions de détention. Celles-ci minimisent “l’efficacité” des soins, lorsqu’ils peuvent être prodigués, et “privent la sanction pénale de son sens” alors que “la condamnation de ces personnes à une peine d’emprisonnement est le plus souvent assortie d’une obligation de soins”.
Isolement et contention quasi systématiques
Pour assurer un accès aux soins équivalent à celui des patients libres, Adeline Hazan demande aux autorités de “très vite réaliser” le deuxième volet des unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA). Neuf ont été construites depuis 2010, sur les dix-sept prévues.
Car, parfois, même lorsque les troubles ont été identifiés, la prise en charge est défaillante. En raison du faible nombre de structures spécialisées, des détenus sont conduits dans des structures psychiatriques classiques, sans consentement, où ils sont “presque systématiquement placés à l’isolement”, souligne Adeline Hazan. “Et quelquefois sous contention, même si leur état clinique ne le justifie pas”, souligne le rapport.
Les recommandations du CGLPL vont-elles être entendues et suivies ? En 2016, l’autorité avait étrillé dans un rapport le centre psychothérapique de l’Ain, à Bourg-en-Bresse, qui accueille des patients détenus. Le recours à l’isolement et à la contention avait été jugé abusif. Trois ans plus tard, en mars 2019, la CGLPL a tenu à saluer dans un communiqué l’évolution “remarquable” du centre. Si la situation dans cet établissement particulier s’est améliorée, les pistes d’amélioration soumises par le CGLPL dans cet avis nécessitent des leviers d’une autre échelle, qui relèvent, parfois, de choix politiques et de réformes structurelles.
C’est pour cette raison que la CGLPL a tenu a écrire ce rapport. En effet, si le problème de la prise en charge des détenus souffrant de troubles mentaux a été identifié par le gouvernement et le Parlement, Adeline Hazan explique que la publication au Journal officiel est un moyen d’“alerter l’exécutif”, de “marquer l’importance de cet avis, d’obliger les ministres à répondre”, et de s’assurer que ce dossier sera suivi attentivement.
Nicole Belloubet, la ministre de la Justice, répond dans un long courrier à Adeline Hazan que le gouvernement a signé, en juillet, “une feuille de route” sur la “santé des personnes placées sous main de justice”. Ce document, rappelle la garde des sceaux, “accorde une place centrale à la prise en charge des personnes souffrant de troubles mentaux”. Quant au manque de données actualisées sur l’état de santé mentale de la population carcérale, la ministre estime qu’il s’agit d’une “priorité”. Elle précise que “deux études” sur les troubles mentaux des détenus “débuteront en début d’année 2020”. “Environ un million d’euros” sont alloués pour ces recherches, qui doivent durer trois ans.
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