France : en prison, "une bulle de sérénité "

Le cours de yoga est un moment en collectif qui sort de l’ordinaire pour les personnes incarcérées. On se retrouve en petit groupe de 15 personnes au maximum avec de la musique douce et adaptée, un parfum d’huiles essentielles, chacun sur son tapis. Un seul objectif : prendre soin de soi. Lorsque le cours commence, je suis la seule à parler pendant plus d’une heure et nous partons ensemble pour un voyage interne que chacun vit différemment, mais que nous traversons ensemble.
D’un point de vue physique, le yoga permet de soulager des maux et des tensions qu’ils accumulent à force de vivre dans des espaces restreints. Nous pratiquons des postures d’assouplissement, des torsions vertébrales, des équilibres, des postures de renforcement musculaire afin de travailler en profondeur sur le corps. Nous travaillons beaucoup la respiration et des techniques de méditation pour apprendre à gérer l’anxiété et les situations stressantes. J’essaie vraiment de créer une “bulle de sérénité”, un espace qui change de leur quotidien, sans jugement : rien à prouver, rien à démontrer, juste essayer d’être présent, ensemble.

Ils me font souvent part, ensuite, de leur aisance à s’endormir la nuit suivant la pratique. L’insomnie est un problème récurrent pour les détenus. Les techniques du yoga peuvent vraiment aider à s’apaiser, à se détendre et donc à accéder plus facilement au sommeil.

Il règne pendant les cours une vraie ambiance positive et bienveillante entre les détenus, entre eux et moi, et beaucoup de respect. Je dois dire que cet esprit d’équipe amène beaucoup de joie et d’énergie positive. Je les vois très concentrés. Ils ont envie d’avancer, de découvrir et d’apprendre. Ils me disent que ça leur fait du bien physiquement, qu’ils se relâchent et qu’ils se sentent bien. Plusieurs m’ont déjà relaté qu’ils faisaient des exercices de respiration pour s’endormir ou avant un rendez-vous avec le juge d’application des peines. Qu’ils puissent s’inspirer de techniques que l’on travaille lors des cours pour les utiliser ensuite, c’est vraiment magnifique. C’est le but.

Ma relation avec les personnes détenues est très bonne. Chaque semaine, nous pratiquons ensemble et nous vivons un moment serein et paisible. Je ressens un respect mutuel, jamais de malveillance. Comme partout, chacun vient avec ses humeurs, son énergie et chaque séance est différente. Parfois, je ressens une vraie fusion des énergies et, une fois le cours fini, nous restons encore en silence le regard dans le vide ou les yeux fermés durant plusieurs minutes. À d’autres moments, l’ambiance est plus agitée. Tout ceci est normal.

Les coordinatrices culturelles sont en charge de faire la liste des participants. Celle-ci doit rester relativement stable, car le yoga se pratique et se ressent sur le long terme. Dès qu’une place se libère en raison d’un transfert, d’une libération ou d’une autre activité, une nouvelle personne s’ajoute. Les participants me transmettent souvent le nom de leur codétenu qui aimerait aussi venir à l’atelier. Dans ce cas, je fais remonter l’information et il est placé sur la liste d’attente.

Plusieurs personnes détenues en approche de leur libération m’ont demandé si elles pouvaient assister à des cours à l’extérieur. J’ai toujours accepté. J’ai déjà croisé des anciens détenus dans la rue. Nous sommes très contents de nous revoir. Surtout dehors.

L’épidémie a conduit à la suspension de mes ateliers. J’ai néanmoins pu reprendre mes cours, en juillet, dans les deux établissements et avec certaines règles : masque obligatoire pour moi, lavage régulier des mains et aucune correction posturale. À Fresnes, le groupe a été scindé en deux et nous alternons chaque semaine. Une nouvelle salle m’a été attribuée. Elle est plus aérée mais plus exigüe… De semaine en semaine, j’apprenais que certains étaient confinés et ne pouvaient donc pas venir. Nous nous sommes parfois retrouvés à trois lorsque certains étages étaient entièrement ou partiellement confinés. Je me suis alors dit que des tests auraient pu être fait en plus grosse quantité pour ne pas pénaliser ceux qui n’étaient pas atteints. Lorsque Paris et l’Île-de-France sont de nouveau passés en zone rouge début octobre, j’ai été prévenue que toutes les activités avec des intervenants extérieurs étaient suspendues jusqu’à nouvel ordre.

J’ai un avis partagé sur tout ça… Plus aucune activité n’est autorisée. Ces décisions sont prises afin de protéger la population carcérale et d’éviter la propagation du virus en interne, mais avec des précautions drastiques, en étant moins nombreux et dans des grandes salles, il n’y a absolument aucun risque. Je pense que c’est très dur pour eux. Comme une double peine. Cette situation a déjà des répercussions terribles sur les personnes détenues qui n’ont pas pu voir leurs proches durant des mois. Un prisonnier me confiait qu’il avait peur que sa propre mère vienne au parloir de Fresnes et soit contaminée.

Plus de solitude, plus de fragilité et de renfermement. Le yoga, au même titre que d’autres activités, sont des bouffées d’air frais pour les détenus, un moyen de s’engager dans quelque chose, de faire passer le temps, de s’évader un bref instant. Ils se retrouvent, aujourd’hui et chaque jour, confrontés à la réalité carcérale de manière ininterrompue.

Les coordinatrices essaient de rebondir sur la situation. Je salue leurs initiatives : des papiers avec des exercices et des techniques que j’ai rédigés vont leur être distribués, même si cela n’a rien à voir avec une vraie pratique collective. Cela leur prouve qu’on ne les oublie pas.