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France : fouilles à nu, l’exception qui infirme la règle

Censées être justifiées par le soupçon d’une infraction ou la dangerosité d’un détenu, les fouilles intégrales sont souvent banalisées dans les établissements pénitentiaires au nom de la sécurité. Elles augmentent pourtant le risque de violence carcérale.

A chaque fois, la scène se répétait. “On m’avait prévenu qu’il pouvait y avoir des fouilles à nu, mais j’espérais que non», se rappelle Nabil. Placé en détention provisoire dix mois, ce trentenaire n’a pas oublié son premier parloir. “Il avait fallu trois mois pour obtenir les permis de visite. Je me réjouissais de voir enfin ma famille.” Le jour venu, la joie de retrouver sa femme et sa fille le dispute à la honte et la colère. Dans l’étroite pièce, ils sont trois surveillants pour trois détenus. On indique à Nabil «une sorte de cabine d’essayage» où se dévêtir. Il refuse, un gradé est appelé. “On m’a dit que si je ne me déshabillais pas moi-même, une Eris [équipe régionale d’intervention et de sécurité, ndlr] s’en chargerait. J’ai fini par accepter.” Cet épisode ne sera pas le dernier. “Dès que j’avais une visite, j’étais fouillé avant et après. C’était complètement gratuit et systématique. Et comme j’avais droit à trois parloirs par semaine…

En droit, les fouilles à nu - dites aussi “intégrales” ou “à corps” - sont encadrées depuis la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009. Leur recours repose sur trois principes : la nécessité, la proportionnalité et la subsidiarité. L’article 57 dispose qu’elles doivent “être justifiées par la présomption d’une infraction” ou par “les risques que le comportement des personnes détenues fait courir à la sécurité des personnes et au maintien du bon ordre dans l’établissement”. Aussi, “leur nature et leur fréquence sont strictement adaptées à ces nécessités et à la personnalité des personnes détenues”. En outre, le détenu ne peut être mis à nu que si les moyens de détection électroniques tels les portiques ou les fouilles par palpation sont jugés “insuffisants”. Dans les faits, c’est plus complexe : presque dix ans après sa promulgation, l’application de la loi pénitentiaire se révèle encore fastidieuse et disparate à certains égards. “Dans de multiples établissements visités, des fouilles systématiques sont motivées de manière vague et non tracée”, souligne la contrôleuse générale des lieux de privation et de liberté (CGLPL) dans son rapport annuel dévoilé le 27 mars. Adeline Hazan y évoque “une banalisation de la pratique des fouilles intégrales” dont on sait pourtant que, “même exécutées correctement”, elles “constituent une atteinte à la dignité”.

“Positions illégales”

En 2016 déjà, la CGLPL constatait «des pratiques abusives» et dénonçait à propos d’un établissement visité : “C’est la fouille intégrale qui est le principe et l’application de la règle qui devient l’exception.” Selon les données transmises par la chancellerie à Libération, 4 923 fouilles intégrales ont été réalisées en moyenne par établissement carcéral en 2018. Quant au taux moyen de détenus fouillés à l’issue des parloirs, il s’élève à 30,5 %. Mais ces chiffres peuvent varier en fonction des établissements. A Fresnes, d’après un rapport parlementaire sur le sujet rendu en octobre, “80 % des sorties de parloirs font l’objet d’une fouille”.

Dans les premiers mois de son incarcération, c’était “systématique” pour Claire. “Il y avait un portique, mais on ne l’utilisait jamais.” Le déroulement d’une fouille tient beaucoup, dit cette femme de 23 ans, “au bon vouloir” de celle ou celui qui la pratique. Certains surveillants se contentent d’un tee-shirt rapidement soulevé, sont gênés tout autant que les détenus ; d’autres font traîner, écarter les jambes, ôter le slip ou la culotte… “Si le ou la surveillant[e] n’est pas bienveillant[e] ou ne fait pas preuve d’un peu de tact, ça peut mal se passer.” Car ce qui se joue est aussi un rapport de pouvoir. Une façon d’exercer l’autorité jusque dans l’intime.

En prison, la seule chose qui nous appartient encore un peu, c’est notre corps. Et même ça, on nous l’enlève”, observe Claire.

Elle se souvient : “Certaines nous faisaient prendre des positions illégales comme le squat qui consiste à vous faire accroupir penchée en avant et à vous faire tousser. Lorsque j’avais mes règles, il m’est arrivé que la surveillante me fasse attendre debout jusqu’à ce que le sang coule le long de mes cuisses.

Pour être “tranquille”, pour ne “pas que ça parle sur [elle]”, la jeune détenue faisait attention “à être épilée, à ne pas porter de culotte excentrique, à être la plus neutre possible”. Karima, 39 ans dont deux passés à l’ombre, complète : “Les filles un peu fortes ou un peu sales prenaient tout le temps des remarques de surveillantes.” Celle qui se décrit comme une “bête noire” du personnel pénitentiaire “parce qu’[elle] avait un franc-parler” insiste : “C’est à la tête du client. A un moment, j’étais fouillée à corps toutes les semaines ! A la fin, je n’attendais même plus qu’on prononce mon nom à la sortie du parloir.” Seule la menace d’écrire à son avocat lui a valu un répit de deux mois.

“On s’y fait”

Dans le même genre, la CGLPL fait état dans son dernier rapport d’une visite d’établissement où les fouilles se font outil de “sanction”. Un surveillant n’y voyant “rien d’anormal” lance : “Tu te calmes sinon demain, c’est la fouille.” Résultat ? Avec ce “tarif des fouilles” tout à fait connu des détenus, celles-ci deviennent “à la fois exceptionnellement nombreuses et spectaculairement infructueuses”. Sur cette pratique avilissante qui a déjà valu à la France d’être condamnée plusieurs fois par la Cour européenne des droits de l’homme, Karima ne s’est jamais confiée à ses proches. “Ça ne servait à rien de les inquiéter encore plus”, dit-elle. Bien souvent, ces derniers se sentent coupables que leur visite s’accompagne d’un tel traitement.

Résignée, Karima a fini par s’habituer : “Les trois premières semaines, c’est choquant. Après, c’est comme l’enfermement… On s’y fait.

Nabil, lui, ne s’y est jamais fait. Quelque temps après son arrivée derrière les barreaux, le jeune père de famille se décrivant comme “très pudique” a renoncé à voir ses proches. “C’était un déchirement, mais l’idée que ça allait arriver me rendait malade à chaque visite.
Un peu amer : “Le parloir, c’est notre seul petit moment de bonheur. Et dès que c’est fini, c’est comme si on vous jetait de la boue au visage pour bien vous rappeler que vous êtes en prison.“ Tous les quinze jours, sa cellule était fouillée de fond en comble. Il faut dire que Nabil, mis en examen pour apologie du terrorisme, fait partie des détenus qu’on appelle «TIS» pour «terrorisme islamiste». Ces profils - avec des niveaux de dangerosité très variables - font l’objet d’une vigilance accrue et de conditions de détention drastiques. Quand bien même leur comportement est irréprochable.

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