France : Jeux Olympiques sous contrôle

Johann Bihr. Nous avons voulu mettre en évidence l’instrumentalisation de la justice pénale au service du maintien de l’ordre dans ce numéro de Dedans Dehors. Celle-ci se manifeste de différentes manières. Un “nettoyage”, pour ne pas dire un “nettoyage social”, des rues a été entrepris depuis plusieurs semaines, notamment en Seine-Saint-Denis. Les autorités s’attaquent à tout ce qui touche à l’occupation de la voie publique, en particulier la vente à la sauvette ou celle de cigarettes de contrefaçon. La répression de ces infractions, relativement mineures, est une priorité pour le parquet de Bobigny et le durcissement des sanctions à leur encontre est déjà palpable. La vente à la sauvette faisait jusque-là l’objet d’un rappel à la loi. Elle est, selon nos sources, désormais orientée en comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC), voire parfois en comparution immédiate, augmentant ainsi la probabilité d’être incarcéré pour un délit mineur. Les condamnations sont en outre systématiquement assorties d’interdictions de paraître dans les régions où se dérouleront les épreuves olympiques. Les autorités s’emploient ainsi à rendre les rues jolies et présentables pour les touristes et les caméras du monde entier.

Nous observons surtout une instrumentalisation de la procédure pénale au nom de la prévention du terrorisme, ce qui est encore plus préoccupant. Le dispositif administratif hérité de l’état d’urgence, incorporé dans le droit commun en 2017, est ainsi mobilisé dans le cadre des JO.

La dynamique est lancée avec la note “Plan d’action antiterroriste” du ministère de l’Intérieur, envoyée le 6 mai aux préfets et aux services de police et de renseignement. Cette note vise essentiellement à neutraliser par anticipation toute menace potentielle, c’est-à-dire toute personne soupçonnée de radicalisation. Les préfets sont encouragés à recourir davantage à des mesures extrêmement privatives de liberté, comme l’assignation à résidence et les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (MICAS). Le document appelle également les services de l’État à poursuivre le plus grand nombre possible de personnes réputées suspectes, y compris pour des infractions sans lien avec le terrorisme, de manière à les neutraliser et à contrôler leurs déplacements. Il est encore difficile de mesurer l’impact réel de ces instructions, mais nous allons le suivre de très près dans les prochaines semaines.

Cette instrumentation de la justice pénale va à l’encontre de la logique qui veut que des soupçons mènent à la collecte de preuves, à l’ouverture d’une enquête et, au terme d’un procès équitable, à la prise de mesure. Ici, la justice est sommée de prendre des mesures pour servir une fin prédéterminée : la neutralisation de certaines personnes jugées indésirables.

JB. Faute de boule de cristal, gardons-nous de faire des prédictions. Mais de nombreux professionnels du droit s’inquiètent de l’effet potentiellement auto-réalisateur de l’intensification des mesures pénales et sécuritaires. Tout concourt à augmenter le risque de condamnation : le décuplement de la présence policière, l’expression de consignes de fermeté de la part du ministère de la Justice et l’accent mis sur la répression des infractions liées à l’occupation de la voie publique. Les plans d’organisation des juridictions qui accueillent des épreuves, notamment Paris ou à Bobigny, prévoient un recours accru aux comparutions immédiates. Cette procédure est particulièrement expéditive et limite à l’extrême la préparation du procès. Elle multiplie également par huit la probabilité d’être condamné à une peine de prison ferme.

Les autorités pénitentiaires sont bien conscientes que les prisons débordent déjà et que la situation ne peut empirer. Elles savent que les caméras du monde entier sont braquées sur la France. Nous avons ainsi documenté la manière dont l’administration pénitentiaire se préparait, depuis plusieurs mois, à cette situation. Elle est vraiment sur le pied de guerre et mobilisée de manière très intense tout l’été, tout comme les services de justice et de police.

Elle a fait feu de tout bois pour essayer de trouver de la place dans les prisons d’Île-de-France. La marge de manœuvre est très limitée. Il s’agit donc principalement de transferts des établissements les plus surpeuplés, notamment les maisons d’arrêt, vers ceux qui le sont un peu moins, notamment les centres de détention ailleurs en France.

Cette politique d’optimisation du parc carcéral est en place depuis plusieurs années, avec pour effet des centres de détention actuellement occupés à 98 % en moyenne.
Les transferts créent des ruptures de liens familiaux et de projets d’insertion et causent des difficultés de cohabitation entre les personnes détenues. Des personnes avec de très courts reliquats de peine se retrouvent ainsi dans des établissements où tout est organisé autour de longs reliquats de peine. Le fonctionnement à flux tendu des maisons d’arrêt est importé en centre de détention : les personnels se retrouvent à gérer des entrées et des sorties ultra accélérées et n’ont plus le temps de construire des parcours de préparation à la sortie.

Outre ses effets pervers importants, cette politique fait des personnes détenues de pures variables d’ajustement et semble produire des effets plus que limités. Au 1er juin, les maisons d’arrêt d’Île-de-France étaient toujours aussi surpeuplées.

JB. Nous souhaitons réinscrire les JO dans une continuité, avec un avant et un après. Le dispositif sécuritaire pénal cristallise toutes les dérives de ces dernières années : criminalisation et invisibilisation des populations précarisées, recours accru aux comparutions immédiates, à des mesures administratives de privation de liberté, etc. Ce qui préexistait aux JO est aujourd’hui rendu extrêmement clair. Quel sera l’héritage, sur le plan sécuritaire, de cet événement ? Les retours d’expérience des JO dans d’autres pays montrent que les dispositifs exceptionnels mis en place sont souvent largement pérennisés. Vancouver a adopté, à l’occasion des JO, une loi permettant de mettre à l’abri de force des personnes itinérantes. Elle n’a jamais été abrogée et reste en vigueur dans le reste de la province.

La Quadrature du Net qualifie les JO d’accélérateur de surveillance, partout dans le monde. Au Japon, certaines lois de surveillance n’ont pu être adoptées qu’à l’occasion de l’organisation des JO. Nous craignons la pérennisation du dispositif JO, certes exceptionnel, mais basé sur les mesures de la loi Sécurité intérieure et lutte contre le terrorisme (SILT), introduite à la suite de l’état d’urgence. C’est cette loi qui permet les périmètres de protection renforcées et les assignations à résidence.

Tout laisse à craindre que ces dispositifs soient pérennisés pour d’autres événements, que ce soient le filtrage étendu au-delà des enceintes sportives ou la vidéosurveillance algorithmique.

Cette dernière est passée au nom des JO mais son expérimentation court jusqu’en mars 2025, bien au-delà des jeux. Il est difficile d’imaginer par quel miracle les caméras disparaitront en avril 2025.

Ce numéro de Dedans Dehors cherche ainsi à explorer le rôle des grands événements de ce type dans le passage de nouveaux paliers en termes de surveillance et de répression. La dynamique était déjà à l’œuvre s’agissant de la gestion, ces dernières années, des manifestations. Elle se développe fortement à l’occasion des JO et il est peu probable d’assister à un retour en arrière.