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Source : Le club des juristes (16/10/2020)
Voir le panoramaFrance: l’indignité des conditions de détention provisoire comme motif de mise en liberté
La dignité des conditions de détention est, depuis le début de l’année 2020, imposée tout à la fois par la Cour européenne des droits de l’homme, la Cour de cassation et le Conseil constitutionnel.
Désormais, il est acquis qu’une personne placée en détention provisoire doit pouvoir saisir un juge et demander sa libération si cette condition n’est pas remplie. C’est précisément une telle libération qui vient d’être ordonnée par la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Nouméa.
À Nouméa, la chambre de l’instruction de la cour d’appel a remis en liberté un détenu de 63 ans – en le plaçant néanmoins sous bracelet électronique – car, aux yeux des juges, ses conditions d’incarcération portaient atteinte à sa dignité. Il semble s’agir de la première décision judiciaire ordonnant effectivement une telle libération, envisagée jusqu’ici plus abstraitement, mais très clairement, par la Cour européenne des droits de l’homme, la Cour de cassation et le Conseil constitutionnel.
Le Code de procédure pénale est clair : pour décider du placement ou du maintien d’une personne en détention provisoire, le juge se détermine en tenant compte des impératifs de la procédure judiciaire, des exigences de préservation de l’ordre public et du caractère raisonnable de la durée de cette détention. Le juge des libertés et de la détention n’est pas juge des conditions de détention : leur éventuel caractère indigne ne pouvait être pris en compte, sauf risque particulier pour la santé physique ou mentale (Cass. Crim., 29 février 2012, n° 11-88441 ; Article 147-1 CPP). La Cour de cassation elle-même le rappelait il y a encore un an (Cass. Crim., 18 septembre 2019, n° 19-83950), tout en précisant que des conditions indignes pouvaient engager la responsabilité de la puissance publique en raison du mauvais fonctionnement du service public.
Mais depuis, le contexte a effectivement considérablement changé. À titre principal, la France a subi une retentissante condamnation européenne (CEDH, 5e sect., 30 janvier 2020, n° 9671/15 et a., J.M.B. et a. c/ France), pour des conditions de détention contraires à l’article 3 de la Convention (traitements inhumains ou dégradants), dans diverses prisons françaises.
Quelques mois plus tard, la chambre criminelle de la Cour de cassation (Cass. Crim., 8 juillet 2020, n° 20-81739) en tirait les conséquences, en imposant au juge judiciaire de garantir à la personne placée dans des conditions indignes de détention un recours préventif et effectif permettant d’empêcher la continuation de la violation de l’article 3 de la Convention. Si tel n’est pas le cas, la chambre de l’instruction doit ordonner la mise en liberté de la personne, en l’astreignant, le cas échéant, à une assignation à résidence avec surveillance électronique ou à un contrôle judiciaire, comme l’a précisément fait la cour d’appel de Nouméa le 8 octobre 2020.
Plus récemment, le Conseil constitutionnel (2 octobre 2020, n° 858/859 QPC) s’est lui-même aligné sur cette position, qui s’en trouve de facto renforcée.
Il résulte de son importante décision qu’ “il appartient aux autorités judiciaires ainsi qu’aux autorités administratives de veiller à ce que la privation de liberté des personnes placées en détention provisoire soit, en toutes circonstances, mise en œuvre dans le respect de la dignité de la personne”, dignité consacrée comme un principe à valeur constitutionnelle, rattaché au Préambule de la Constitution de 1946.
Il est certain que les règles concernant la détention provisoire seront adaptées pour intégrer cette nouvelle exigence. Mais qu’en sera-t-il de celles relatives aux condamnations à des peines privatives de liberté, nullement visées par la Cour de cassation et le Conseil constitutionnel ?
En effet, ce dernier a abrogé le second alinéa de l’article 144-1 du Code de procédure pénale relatif à la seule détention provisoire ; tout en prévoyant que cette déclaration d’inconstitutionnalité ne prendra effet qu’au 1er mars 2021 pour laisser au législateur le temps d’intervenir.
Remarquons cependant que l’arrêt rendu par la Cour de cassation, comme celui de la Cour européenne des droits de l’homme, n’envisageaient aucun délai : aussi n’est-il pas surprenant de voir si tôt cette solution de la cour d’appel. Il est symbolique qu’il s’agisse de celle de Nouméa : en fin d’année dernière, l’ancienne Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, Adeline Hazan, relevait que les conditions de détention à Nouméa “continuent de porter gravement atteinte au respect de la dignité et des droits fondamentaux” des détenus, huit ans après un premier constat similaire.
Les autorités françaises ne nient pas cette réalité ; le nouveau garde des Sceaux lui-même a dénoncé lors de la cérémonie de passation des pouvoirs des conditions de détention “inhumaines et dégradantes”, avant de réserver sa première visite de ministre à la prison de Fresnes, également tristement célèbre à ce sujet.
Éric Dupond-Moretti aurait lui-même appuyé la nomination récente de Dominique Simonnot en remplacement de Mme Hazan : il est certain que sa tâche principale sera de veiller à ce que les conditions de détention s’améliorent rapidement. C’est une question de dignité et d’humanité ; c’est désormais aussi une question de sécurité, puisque des libérations sont ordonnées pour ces (nobles) motifs, sans considération, semble-t-il, de l’éventuelle dangerosité des mis en cause…