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Source : Médiapart (11/11/2020)
Voir le panoramaFrance : la fin annoncée des CRP pour les auteurs de violences contre les policiers
Peu discuté, l'article 23 de la loi "sécurité globale" prévoit la suppression des crédits de réduction de peine (CRP) en cas de violences contre les forces de l'ordre.
Cette suppression révèle la logique répressive et clientéliste de la proposition de loi et interroge au regard du principe d’égalité. L’article 24 de la proposition de loi sur la “sécurité globale” a fait l’objet de nombreuses critiques par la quasi-totalité des médias et des organismes de défense des droits. L’article 23 a quant à lui beaucoup moins attiré l’attention. Cet article entend supprimer le bénéfice des crédits de réduction de peine (CRP) aux auteurs de violences, légères comme graves, lorsqu’elles sont commises au préjudice d’agents de police et de gendarmerie. Cette disposition vise à assurer l’efficacité des peines prononcées contre les auteurs de ce type de violences jugées particulièrement graves et qui seraient en pleine explosion.
L’intention non dissimulée de la majorité est d’allonger la peine subie sans pour autant réintroduire les peines planchers dont la constitutionnalité est discutable si elles ne sont pas accompagnées d’exceptions les rendant inapplicables en pratique. Selon les termes même des débats parlementaires, l’article 23 voudrait faire de la peine une peine “incompressible”.
Pourtant, les CRP présentent un intérêt non négligeable d’un point de vue pratique et en terme de réinsertion que la majorité semble avoir oublié. La proposition pourrait en même temps mettre à mal le principe d’égalité.
Jusqu’à la loi Perben de 2004, les CRP étaient traités par le code de procédure pénale comme la récompense d’une bonne conduite en détention. Puis, à compter de cette loi, il a été décidé que les CRP seraient automatiquement accordés à tous les détenus mais qu’ils leurs seraient retirés en cas de mauvaise conduite.
L’octroi et la suppression des CRP ont ainsi toujours été liés à la seule conduite en détention. A l’inverse, l’article 23 de la proposition de loi établie un lien entre les CRP et gravité de l’infraction, indépendamment du comportement du condamné en détention. Dès lors, la suppression des CRP n’est plus ne sanctionne plus le comportement en détention mais le comportement avant la détention. L’inversement de la logique est regrettable car les CRP participent à la sérénité de l’établissement pénitentiaire.
En effet, la menace de la perte des CRP incite les détenus à adopter une “bonne conduite” qui favorise l’apparition d’un environnement carcéral moins délétère, ce qui peut d’ailleurs favoriser la réinsertion. Certes les CRP ne préviennent pas à eux seuls la mauvaise conduite en détention mais supprimer les CRP, c’est prendre le risque d’un plus grand désordre au seul motif de dissiper le sentiment d’impunité qu’éprouvent les forces de l’ordre.
L’intérêt des CRP dépasse largement la question de la gestion de l’ordre pénitentiaire puisqu’ils occupent une place importante dans le suivi post-libération. En effet, lorsque le détenu n’a pas pu bénéficier d’une libération sous contrainte ou conditionnelle, le code de procédure pénale prévoit un suivi post-libération ou de surveillance judiciaire dont la durée dépend des réductions de peines accordées.
Autrement dit, après avoir bénéficier des différentes réductions de peines auxquelles il peut prétendre, l’individu libéré peut toujours être soumis à certaines obligations favorisant sa réinsertion dont la durée ne peut excéder le total des réductions de peines dont il a bénéficié. Supprimer les CRP c’est donc réduire d’autant la période du suivi post-libération, voire d’empêcher un suivi lorsque le détenu n’a pas pu bénéficier d’autres types de réductions de peine.
Or, si l’auteur de violences contre les forces de police représente une dangerosité telle qu’on ne peut accepter de réduire automatiquement sa peine, ne faudrait-il pas permettre dans tous les cas un suivi s’assurant de sa réinsertion ? Le risque de “sortie sèche” avait d’ailleurs été soulevé lors des débats relatifs à la proposition de loi tendant à la suppression des CRP pour les auteurs de violences conjugales, proposition qui avait été rejetée.
En proposant l’article 23 de la loi sur la sécurité globale, la majorité opère un rapprochement critiquable entre les auteurs d’infractions terroristes et les auteurs de violences contre les forces de l’ordre. En effet, en l’état du droit actuel, seuls les auteurs d’infractions terroristes sont interdits du bénéfice des CRP. Aligner une partie du traitement réservés aux terroristes avec celui des auteurs d’infractions contre les forces de l’ordre sous-entend une correspondance des seconds avec les premiers. Or, les situations sont bien différentes. Le code pénal définie les infractions terroristes comme celles qui ont pour but de “troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur”. L’essence même de l’infraction terroriste est d’instiller au sein de la population une peur permanente, généralement afin d’imposer une idéologie particulière. Les infractions contre les forces de l’ordre présentent une physionomie tout à fait différente.
Elles peuvent revêtir une dimension situationnelle, lorsque, par exemple, la personne arrêtée se rebelle et blesse un agent de police. Elles peuvent aussi être des violences reflétant la colère contre ce que représente l’agent de police, c’est-à-dire les institutions et l’Etat, comme lors de jets de projectiles contre les agents de police en intervention. Elles peuvent enfin être à la fois situationnelles et imprégnées de colère au cours d’un affrontement entre policiers et manifestants. D’un point de vue criminologique, les deux situations – terrorisme et violences contre les forces de l’ordre – ne peuvent donc pas être alignées. Certes, une violence contre un agent de police peut démontrer un rejet des institutions de la même manière qu’une infraction terroriste, mais la dangerosité de l’auteur des violences est sans commune mesure avec celle de l’auteur d’un acte terroriste. Si l’alignement interroge de ce point de vue, il ne saurait être juridiquement critiqué dès lors que le Conseil constitutionnel considère que rien n’interdit de traiter de façon identique des situations différentes.
Les violences auxquelles renvoie l’article 23 sont toutes aggravées par une même série de circonstances.
Ainsi, l’auteur de violences n’ayant entraîné aucune incapacité de travail encourt 3 ans d’emprisonnement que les violences soient commises au préjudice d’un mineur de 15 ans ou d’un policier. Mais seules les violences contre le second interdisent l’octroi de CRP. Dès lors, pour ce que le code pénal considère comme une même catégorie de violences, l’article 23 prévoit une réponse pénale différente.
Plus encore, les victimes visées par l’article 23 se retrouvent toutes dans la quatrième circonstance aggravante mais toutes ces victimes ne se retrouvent pas dans l’article 23.
Pourtant, le Conseil constitutionnel considère que la loi ne saurait, pour une même infraction, instituer un traitement pénal différent, sauf à ce que cette différence soit justifiée par une différence de situation en rapport avec l’objet de la loi. Autrement dit, le Conseil censure une loi si elle crée des différences de traitement en prévoyant un avantage ou désavantage injustifiable tant les situations différemment traitées paraissent comparables. Or, on peut considérer, de façon large, que tous les auteurs de violences aggravées se trouvent dans une situation comparable, ou, plus étroitement, que l’ensemble des violences visées par la quatrième circonstance aggravante sont identiques (il n’y a symboliquement qu’une différence très mince entre les violences contre les magistrats et celles contre les forces de l’ordre). En refusant ainsi le bénéfice des CRP à certains auteur de violences, le principe d’égalité pourrait être battu en brèche.
Enfin, si une différence de traitement peut être acceptable entre les auteurs d’une même infraction, encore faut-il que la différence de traitement ne soit pas excessive. Ce pourrait être le cas de la suppression des CRP au regard de leurs intérêts en terme de suivi post-libération et d’organisation de la vie en détention.