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France : la grève dure, les détenus endurent

Le blocage de la prison par ses gardiens, à la suite de l’agression de deux des leurs, empêche familles et repas d’atteindre des détenus coincés dans leurs cellules.

Marine (1) avait tout organisé depuis plusieurs semaines : le trajet en voiture avec une amie, la location d’un appartement à Alençon… Vendredi après-midi, cette mère d’une fillette en bas âge s’est vu refuser l’accès au parloir prévu avec son compagnon. Et pour cause : depuis trois jours, de cinquante à cent vingt surveillants bloquent l’accès à la centrale de Condé-sur-Sarthe, dans l’Orne, pour faire entendre leur colère. C’est dans cette prison, considérée comme l’une des plus sûres de France, que s’est déroulée mardi matin l’agression de deux de leurs collègues par Michaël Chiolo, un détenu de droit commun ayant versé dans l’islam radical derrière les barreaux.

“C’est très compliqué à vivre pour nous, car on attend toujours nos parloirs avec impatience”, explique Marine à Libération. Derrière elle, on entend sa petite fille pleurer : “Tout est bloqué. On nous a même refusé l’accès à l’accueil familles pour qu’on puisse changer les couches des petits et les faire manger”, déplore cette maman d’une trentaine d’années. Pour venir voir son compagnon, incarcéré depuis plus de dix ans à la centrale, elle et son amie ont roulé plus de 600 kilomètres. S’il entend la déception des familles,“c’est notre seul levier de pression pour qu’on soit entendu dans nos revendications par l’administration pénitentiaire”, défend Emmanuel Guimaraes, délégué national de FO Pénitentiaire, mobilisé depuis le début de ce mouvement.

Pare-lame

Dans la matinée, trois autres prisons étaient sujettes à des blocages, mais à la mi-journée, seules restaient les Baumettes à Marseille (Bouches-du-Rhône) et Condé-sur-Sarthe. Parmi les revendications des fonctionnaires : une revalorisation de leur statut, l’attribution massive de gilets pare-lame, l’installation de «passe-menottes» aux portes des cellules, un élargissement du régime des fouilles…

“On nous a demandé de dégager, je me suis fait insulter, s’agace Nadia (1), venue elle aussi rendre visite à son conjoint. Au début, je les soutenais complètement. Mais là, leur comportement est incompréhensible.” Avant de se déplacer, cette mère d’un garçonnet de dix mois a tenté de se renseigner. Elle assure avoir reçu des informations contradictoires. “On m’a dit que les UVF [c’est dans une unité de vie familiale, où Michaël Chiolo et sa compagne, Hanane Aboulhana, avaient eu l’autorisation de se voir, que l’attaque a eu lieu, ndlr] étaient supprimées jusqu’à nouvel ordre, mais que les parloirs classiques seraient maintenus. Je n’ai pas fait 200 bornes pour le fun !

Gamelles non distribuées et cantines non livrées, ateliers de travail et activités à l’arrêt, poubelles non vidées ou encore coupures d’eau et d’électricité sauvages… “Depuis mardi, c’est vraiment le strict minimum : pour tout repas, ils n’ont reçu jeudi qu’une baguette de pain. Certains ont encore quelques cigarettes ou ont la chance d’avoir un ou deux paquets de pâtes, mais la plupart n’ont plus rien, rapporte Marine, qui a pu discuter par téléphone avec son compagnon, jeudi soir. Moralement, ils ne sont pas bien du tout. Ils ne sont pas sortis en promenade une seule fois. Ils sont confinés dans leurs cellules.”

Contactée, la Direction de l’administration pénitentiaire confirme l’absence de promenade depuis l’attaque mardi matin, mais déclare : “On essaie de limiter au maximum l’impact de ce blocage sur la détention.” Elle affirme notamment que “les médicaments sont distribués tous les jours”. Et, qu’à l’exception de perturbations mardi et mercredi, “deux repas ont bien été distribués jeudi et vendredi”.

“Inhumain”

Vendredi matin, les forces de l’ordre seraient pourtant intervenues dans un contexte tendu : “Le camion de repas n’a pu entrer dans l’enceinte que parce que les CRS nous ont gazés”, explique le syndicaliste Emmanuel Guimaraes. Les surveillants ont dans la foulée remonté les barricades et ont, par ailleurs, trouvé le renfort de quelques gilets jaunes. Selon un communiqué de l’Observatoire international des prisons, diffusé en fin de journée, une vingtaine d’agents des équipes régionales d’intervention et de sécurité (Eris) assurent une présence et une sécurité minimum, “contre 108 surveillants en poste en temps normal”.

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