Patrick Masoni. Pas du tout, bien au contraire. Les inégalités entre les hommes n’ont jamais été aussi criantes. Urbains, ruraux, avec jardin, sans jardin, chacun a dû vivre le confinement dans l’espace qui lui sert de toiture, voire de dortoir. Les chanceux par nature, sans jeu de mots, furent les ruraux où les contrôles peu nombreux leur ont procuré de fait une souplesse dont les urbains ont été privés en majorité. De facto, les inégalités de classe sont réapparues. Le libéralisme de la fin du XXe a essayé de les gommer par la multitude des choix possibles donnés à chacun. Sauf que la seule marge des possibles est limitée à l’espace alloué par le bulletin de salaire. Nous ne sommes plus, certes, dans le monde gris dépeint par Dickens ou Hugo, si bien que le confort d’un petit appartement n’a plus rien de commun avec celui de ces temps-là. Néanmoins, les classes laborieuses ont plus souffert que la moyenne. J’ose employer le mot “classe” plutôt que “catégorie sociale” comme la doxa de la camisole cathodique rabâche à longueur de journée : bien qu’il n’y ait plus de lutte entre les classes — l’ascenseur social est une ânerie, disait Bourdieu —, si les gens sont bien là où ils sont, pourquoi voudraient-ils monter plus haut ? Le libéralisme avait pour but non de supprimer l’ascenseur, mais de le remplacer par un escalator, où chacun grimperait sans s’en rendre compte, comme la marée fait monter tous les bateaux sans en oublier aucun. Ainsi les classes s’épanouissaient d’elles-mêmes.
Confinés, les hommes ont été confrontés à la réalité de leur environnement direct, c’est-à-dire leur lieu nocturne.
Ainsi, le mot “catégorie” n’est pas approprié, c’est bien “classe” qui convient, au sens marxiste du terme. Pour paraphraser un célèbre trait d’humour : certains ont été plus égaux que d’autres face au confinement.