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France : "le rideau de béton retombe"
Larbi Belaïd finit, en 2009, son "parcours de murs". Il vient de décéder. Il était un ami de Prison Insider.
De ses 18 à 52 ans, Larbi Belaïd n’a connu qu’un an en liberté. Condamné à perpétuité en 1984, il finit, en 2009, son “parcours de murs”, comme il le dit. Après seulement dix petites années de liberté, une vie de famille et la volonté de témoigner, Larbi Belaïd vient de décéder. Il était un ami de Prison Insider et travaillait, avec Bernard Bolze (fondateur de Prison Insider), à la rédaction d’un abécédaire de la prison.
Prison Insider publie aujourd’hui le “A” de “Arrivée”. Vous pourrez entendre la voix de Larbi et des extraits de son témoignage.
Bernard Bolze consacre un texte à son ami Larbi, à retrouver à la suite de ce témoignage.
À partir de là, c’est une pierre tombale sur laquelle figurera ton nom, ton numéro d’écrou. On viendra te visiter au parloir, sans avoir le droit de t’amener des fleurs.
Pour Larbi
La vie ne fait pas de cadeaux
Larbi Belaïd est mort d’un accident cardiaque, samedi 31 octobre dernier en début de soirée, à Nancy. Il avait 64 ans et préparait le repas de sa fille, âgée de huit ans. Cette enfant illuminait son existence, comme sa mère l’avait fait aussi.
J’ai connu Larbi au tout début des années 70 à Lyon, alors qu’il était placé par un juge des enfants dans le foyer de l’Education surveillée où je travaillais. Et si nous nous sommes retrouvés tout au long de nos vies, lui a passé 35 ans de la sienne en prison. J’ai expérimenté ici la banalité mesquine du quotidien de la prison, la difficulté d’obtenir un nouveau permis de visite après un transfert (à chaque fois une nouvelle enquête de police inutile et longue), l’impossibilité d’obtenir un double parloir alors qu’une heure de visite nécessitait deux jours de déplacement, le coût prohibitif des appels téléphoniques, le silence qui s’installe parfois durablement. Trente-cinq ans d’une vie monacale et parfois romanesque, une tentative d’évasion ratée, terminée par un empalement sur un pic rouillé qui lui avait valu la perte d’un poumon (“j’ai cru que je savais voler”, disait-il), le refus de la télévision et du consumérisme pour exister sans échappatoire, l’inondation, en 2003, de la maison centrale d’Arles vécue de l’intérieur (l’eau qui monte dans les cellules fermées à double tour), la solidarité lumineuse de certains prisonniers entre eux et les comportements insupportables de certains autres, le dévouement sans borne d’une conseillère d’insertion et de probation et l’indifférence méchante de tant d’autres agents de tant d’administrations. Larbi avait été sollicité pour participer à la pièce Une longue peine, de Didier Ruiz, jouée partout en France, mais n’avait pas obtenu les autorisations nécessaires pour se déplacer. C’est dommage, il avait des choses à faire entendre et à nous apprendre.
Sa force de caractère n’avait d’égale que son absence de préjugés et sa détermination. Ainsi pouvait-il écrire récemment : “Mes amis de fraternité du Secours catholique, ma seconde famille. Être bénévole parmi vous, accepté, respecté, protégé de votre attention constante. Tous, de la présidente à chaque bénévole, je vous salue toutes et toutes. Votre amour, votre dévouement à vos semblables m’a lavé l’âme”.
Nous travaillions depuis quelques mois à la rédaction d’un livre auquel nous tenions beaucoup, un abécédaire de la prison, qui lui permettrait d’évoquer sa si grande connaissance et sa si longue expérience de l’enfermement. Vous trouverez ici l’enregistrement sonore de A, comme Arrivée. Et puis un article du Monde, en date du 1er juillet 2008, qui évoquait sa captivité alors qu’il attendait encore et depuis si longtemps sa sortie.
La vie va ainsi qui lui aura fait si peu de cadeaux. Une enfance dans une petite baraque en bois démunie de tout, à Givors, au sud de Lyon, et la débrouille, peuvent faire que la jeunesse d’un gamin astucieux vienne se briser trop vitre sur la dureté du monde.
— Bernard Bolze.