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France : le système judiciaire et les prisons à l'épreuve de la pandémie

Des procès reportés, des procédures à distance, des prisonniers relâchés et d’autres qui voient leur détention provisoire prolongée. Avocats et magistrats demandent au gouvernement de revoir le fonctionnement de la justice pendant la crise sanitaire.

La scène est rapportée par l’Observatoire international des prisons (OIP). Un détenu est accusé d’avoir enfreint les règles de discipline de la prison, ce qu’il nie. La commission de discipline le convoque pour décider s’il faut le sanctionner. Mais en raison du confinement et des règles sanitaires, le prisonnier est privé de son avocat. Seul face à la commission dirigée par le directeur de la prison, le détenu est envoyé en isolement.

Ce type d’incident serait devenu courant depuis le début du confinement. Et les difficultés commencent parfois dès la garde à vue. Les suspects y ont normalement droit à un avocat mais depuis la crise du coronavirus, ils ne peuvent plus être présents.

“En ce moment, il n’est pas possible d’assister nos clients en garde à vue”, explique à France 24 Me Muriel Ouaknine-Melki. “On a un système de visioconférence avec certains commissariats mais ça ne fonctionne pas partout. Le client est quand même un peu seul pendant la garde à vue.”

Cette situation peut se répéter après la garde à vue, quand le suspect est déféré devant le procureur puis le juge pour décider notamment s’il doit être incarcéré. “Là aussi, c’est très compliqué parce que le système de visioconférence n’est pas encore mis en place partout. Et donc ce type de débat se passe encore très souvent sans avocat”, explique Me Ouaknine-Melki. De nombreux procès ont été reportés. Dans d’autres cas, la défense intervient à distance et transmet les dossiers par e-mail.

Les avocats ne sont pas les seuls professionnels de la justice à s’inquiéter de la situation. Les organisations de magistrats la dénoncent aussi, alarmées notamment par la prolongation des détentions provisoires sans débat contradictoire. Dans un communiqué diffusé le 4 avril, le Syndicat de la magistrature estime qu’en “prolongeant toutes les détentions provisoires automatiquement de plusieurs mois, la ministre de la Justice, garde des Sceaux, fait vaciller encore un peu plus notre État de droit”.

Une baisse de la population carcérale

L’association des magistrats instructeurs a demandé à la ministre Nicole Belloubet de maintenir des débat contradictoires même en temps de confinement, par visioconférence ou par écrit. Le ministère assure que les prolongations de détentions sont parfaitement légales et il défend l’ordonnance du 25 mars qui adapte les règles de procédure pénale face à l’épidémie de Covid-19. Dans un communiqué, il indique ainsi que les mesures prises depuis le confinement “préservent les droits des citoyens” et “respectent les garanties essentielles”.

“Ces décisions sont légales à partir du moment où les ordonnances sont prises par le gouvernement. Si vous prenez une ordonnance qui vous permet de contourner le droit normalement applicable, effectivement, ça devient légal”, explique Me Vincent Brengarth, du cabinet Bourdon & Associés, contacté par France 24. “On peut s’interroger sur la constitutionnalité de telles mesures, souligne l’avocat. Prolonger la détention provisoire sans débat, c’est inédit dans l’histoire juridique récente.”

Si la prolongation des détentions provisoires va à l’encontre de l’objectif de désengorgement des prisons en raison du nouveau coronavirus, le ministère de la Justice note tout de même une diminution de la population carcérale au cours des dernières semaines. Selon lui, 6 266 détenus au total ont quitté les établissements pénitentiaires depuis le début du confinement. Contactée par France 24, Agnès Thibault-Lecuivre, porte-parole du ministère, explique cette baisse par “la libération de détenus en fin de peine, le fait qu’il y ait moins de condamnations et aussi la libération de personnes qui n’ont pas été condamnées et qui sont en détention provisoire”.

Malgré cette diminution du nombre de détenus, la situation carcérale empêche la mise en place de mesures sanitaires satisfaisantes pour empêcher ou freiner la propagation du coronavirus. “Il y a deux, trois voire quatre détenus dans une cellule de neuf mètres carrés, notamment dans les maisons d’arrêt. L’accès à l’eau et au savon est compliqué, le gel hydroalcoolique est interdit, les gardiens, qui n’ont pas tous des masques, effectuent les fouilles à mains nues”, relate Cécile Marcel, directrice de l’OIP, dans une interview accordée à France 24. Et la surpopulation perdure dans les prisons française puisque, selon l’OIP, environ 66 000 prisonniers se trouvent désormais dans les prisons françaises, qui ne comptent que 61 080 places.