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Source : Paris Match
Voir le panoramaFrance : selfie-Mérogis, les détenus racontent la prison
Autoportrait d’une prison moderne mais inhumaine. Pour la première fois, les détenus de Fleury-Mérogis nous racontent comment survivre à deux dans 9 mètres carrés.
La recette du jour : tarte au chocolat. Depuis sa cellule, à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, Abdel cuisine. Il n’a pas de four mais deux petites plaques à induction. “On fait des concours de gâteaux entre prisonniers ! Ça change les idées et ça passe le temps.” Fondants au chocolat, fraisiers, crèmes pâtissières. “Ici, prévient Abdel, c’est “MasterChef Fleury” !“ Lassé par la “gamelle”, le détenu cantine, c’est-à-dire qu’il achète sur place de quoi faire ses gratins, tortillas, salades et pizzas “cuites entre deux poêles”. Il est particulièrement fier du globi, une omelette de fortune préparée avec des “chips écrasées, des œufs, des oignons, des tomates, du steak ou du thon”. Ce n’est peut-être ni très raffiné, ni très diététique, mais même “les émissions culinaires nous l’ont piqué” !
Le parfum d’oignon ou de chocolat, à Fleury, c’est comme les brins d’herbe dans les failles du béton : le souvenir d’un ailleurs… Fleury-Mérogis est la plus grande prison d’Europe. Une architecture démesurée et singulière. Des pattes d’oie dépliées sur une trentaine d’hectares. Cinq bâtiments d’hommes, environ 2 000 surveillants pour 2 054 cellules, 2 857 places… et 4 500 prisonniers. “*La première fois que je suis entré, déclare un gardien, j’ai cru que c’était un domaine militaire. J’avais peur de me perdre…”* Portes qui claquent, ciel absent. Du gris, du noir, du blanc. Tristement monochrome. Comme si la couleur était hors la loi, “comme si la vie et la joie s’étaient enfuies”, dit un prisonnier. “Notre quotidien, du Zola !”
Il est environ 23 h 30, un mercredi, lorsque nous entrons en contact avec Abdel et Ilyès. Deux détenus, la trentaine. Des copains dans la vie, séparés ici par des bâtiments différents. Le premier est incarcéré pour crime, le second pour délit de droit commun.
Cette nuit est étonnamment calme. D’ordinaire, raconte Abdel, “les gens crient ou s’insultent d’une cellule à une autre. La télé, la musique assourdissante, les coups sur les portes, ou encore les pleurs… Le silence ? Connais pas. Ce mot n’existe plus”.
Une vidéo capturée sur un téléphone, et nous voici invités à visiter “la grotte”, comme ils disent. Les murs sont recouverts d’affiches, de photos. Ilyès fait le tour et nous montre les deux lits superposés, les draps blancs et les couvertures rêches. La lampe posée sur une table basse, fabriquée maison avec des cartons, et une seule chaise en plastique.
“C’est horrible, on ne peut plus regarder par la fenêtre, ça fait trop mal aux yeux !”
“Des mecs les cassent et les taillent pour fabriquer des lames”, lâche Ilyès. Produits d’hygiène et de nettoyage “cantinés”, évier, ventilateur. L’hiver, les plaques de cuisson servent de chauffage d’appoint. Au-dessus, suspendue, une petite télévision allumée en permanence. “C’est comme un aquarium, ça fait un peu d’animation…” Pour les chaînes qui manquent, plus des films, Ilyès a sa combine : une clé USB. Il y a aussi une chaîne Hi-Fi, une console de jeux. Et, derrière, une douche accolée aux toilettes. “C’est nouveau, ça. Comme le frigo. Côté confort, c’est mieux qu’avant. Mais, du coup, on a moins l’occasion de sortir…” Ilyès et Abdel vivent 22 heures sur 24, l’un et l’autre, dans leurs 9 mètres carrés verrouillés. Chaque cellule est occupée par deux hommes, voire trois, “parfois même quatre”, reconnaît un surveillant… Cette surface réglementaire a été définie par l’Europe pour un individu.
La nuit, une lumière orangée et métallique perce à travers les serviettes pendues aux barreaux et aux grossiers grillages. Abdel – qu’on devine nerveux et sanguin – s’emporte. “C’est horrible, on ne peut plus regarder par la fenêtre, ça fait trop mal aux yeux ! Tu es enfermé des deux côtés, on n’a plus d’horizon, on devient fou !”
La direction a installé ces grilles pour empêcher les jets d’ordures – “Ils balancent moins, mais ils balancent toujours”, souffle, découragé, un agent pénitentiaire – et les “yoyos”, ces cordelettes, ficelles ou draps roulés permettant de faire passer d’une fenêtre à l’autre des chaussettes gavées d’objets. Raté… En voilà justement qui virevoltent dans les airs, balayés par une brise légère et encore chaude. On apprend même qu’ils ont été “optimisés” : il y a des “yoyos cerfs-volants” avec des “papiers au bout pour mieux les diriger face au vent”. Ainsi récupère-t-on clopes, fric, shit et minuscules téléphones portables.
“Avec mon portable, tous les soirs, je peux voir ma femme et mes enfants, jouer en ligne à Puissance 4 avec mon fils.”
Ces “bigos” sont les bêtes noires de la chancellerie. Près de 40 000 ont été confisqués l’année dernière dans les prisons françaises. Il doit en rester autant à saisir. Les faire définitivement disparaître, c’est le travail de Sisyphe du ministère de la Justice. Nicole Belloubet, garde des Sceaux, imagine de brouiller les communications et de mettre à la disposition des détenus 50 000 téléphones fixes. Il faudra transmettre une liste de quatre numéros à un magistrat, qui validera – ou non – dans un délai de quelques semaines. Ouais… les prisonniers ne sont pas chauds. La plupart ont un téléphone portable clandestin. Abdel recharge le sien – un Smartphone dernière génération – sans discrétion. Système “débrouille” oblige, il le répare avec une pince à épiler. C’est un appareil d’occasion, racheté 1 500 euros, “tarif prison” – ce qui n’inclut ni la puce (entre 20 et 50 euros) ni le chargeur (près de 50 euros). On accepte tous les moyens de paiement : cocaïne, shit, mandat ou cash.
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