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Source : Observatoire international des prisons - section française
Voir le panoramaFrance : travail en prison, une mécanique archaïque
“En prison, il y a des détenus qui travaillent. Il n’y a pas de droit du travail”, s’indignaient plus de 400 universitaires dans une tribune commune en 2015. Parler de “ travail“ serait même inapproprié pour l’ancien Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), Jean-Marie Delarue, pour lequel “il faudrait inventer un autre mot” pour décrire ce qu’il se passe derrière les murs.
Sans contrat ni statut, les personnes détenues vivent la condition des ouvriers d’avant le salariat et les luttes syndicales. La protection sociale est aux abonnés absents. Quand on est malade, ou victime d’un accident, les revenus s’arrêtent, et il n’y a pas de compensation. Pas de SMIC non plus. Aux ateliers, on est payé à la pièce, comme les tâcherons d’autrefois. Les travaux proposés, c’est du “non-qualifiant massivement”. Des gestes répétitifs, abrutissants, n’exigeant aucune compétence et n’en apportant aucune, qu’il faut réaliser souvent debout, en sautant les pauses, pour espérer gagner quelques centimes de plus. On trie des oignons, on fait de la mise sous pli, du conditionnement, de la manutention, de la découpe, du collage… Et parfois, la cellule devient même atelier. Ce n’est pas le plus fréquent, mais cela existe encore, lorsque l’administration ne trouve pas de local. La petite table pour les repas sert alors d’établi et chaque recoin de la cellule est utilisé comme espace de stockage.
“J’ai vu des gens en cellule en train d’assembler de petites agrafes, au milieu de la nuit “, raconte Jean-Marie Delarue.
Le travail en prison s’accompagne d’“abus, en termes d’horaires, d’hygiène ou de règles de sécurité“, souligne l’ancien contrôleur.
Les détenus n’ont le droit à aucune forme d’expression collective, de représentation syndicale, de droit d’alerte ou de retrait, au cas où ils seraient exposés à une situation de travail dangereuse. Une simple protestation, c’est risquer d’être “déclassé d’un trait de plume”. Perdre son emploi et tout espoir d’en retrouver un dans la prison.
“Tous les droits fondamentaux qui sont reconnus aux travailleurs sont simplement occultés en prison”, résume Cyril Wolmark, enseignant-chercheur à la faculté de droit de Nanterre, spécialiste du droit du travail.
La réinsertion par le travail : une chimère
Travail et prison forment un vieux couple. Dans les enceintes carcérales, on a d’abord attribué au travail une fonction expiatoire avant de lui assigner en 1987 un but de socialisation. Mais, en terme de statut, rien n’a changé ou presque, depuis qu’il n’est plus un accessoire de la peine. Qui peut prétendre, dans de telles conditions, que le travail constitue “ un levier puissant de réinsertion qui donne un statut social“? Sur le terrain, le travail reste, pour l’administration, un outil de gestion de la détention – tantôt de pacification, tantôt de discipline – et, pour les détenus, un pis-aller pour gagner de maigres revenus et l’occasion de sortir de cellule. Or, rappellent les signataires de la tribune des universitaires :
“Si l’on souhaite que le travail en prison contribue éventuellement à la réinsertion, il doit devenir synonyme de dignité pour la personne détenue. Il faut pour cela lui donner un statut juridique”.
En 2000, déjà, la commission d’enquête sur les prisons de l’Assemblée nationale soulignait que “l’absence de respect du droit du travail ruine la conception même du travail pénal comme outil d’insertion”. Si nombreuses que soient les voix, y compris au sein de l’administration, à reconnaître qu’il faut changer l’image du travail en prison, trop souvent associé à de l’esclavagisme, toute évolution semble politiquement bloquée et l’administration pénitentiaire freine des quatre fers dès lors qu’il s’agit d’introduire du droit : ce serait mettre en péril l’offre de travail, disent les réfractaires.
Une offre certes bien en peine. Depuis 2000, le taux d’emploi des personnes détenues a perdu près de dix points. Il est passé de 37% à 28,2 % en 2016. En cause ? Pour l’administration, d’abord “la crise économique”. Ensuite “les espaces d’activité insuffisants”, voire “inexistants”, “dans les établissements les plus anciens” ; mais aussi la “localisation” des plus récents, construits en périphérie des villes, “en dehors de tout bassin de l’emploi” ; les “contraintes carcérales” (horaires, accès, sécurité) ; et surtout le problème de “l’employabilité” des détenus.
Alors, pour maintenir l’attractivité du travail pénitentiaire, on accepte d’offrir une main d’oeuvre à bas coût, sans droits, et subissant une flexibilité extrême. Qu’importe que les concessionnaires se servent d’eux comme des variables d’ajustement pour leur production et que le travail ne soit jamais pérenne. Si une part de ces difficultés est réelle, le problème est plus profond : c’est tout le modèle économique du travail pénitentiaire qui montre ses limites. La directrice de l’administration pénitentiaire l’a reconnu en 2013.
“Les difficultés ne doivent pas freiner pour autant la modernisation et peuvent, au contraire, constituer un bon moyen pour accélérer la mutation du travail pénitentiaire”.
Mais, de fait, l’institution reste obnubilée par l’industrie de main-d’œuvre – en déclin en France, avec l’automatisation grandissante des procédés de fabrication et la concurrence d’autres économies (Europe de l’Est, Asie du Sud-est, etc.). Une approche qui l’enferme “dans une spirale infernale”, s’alarme Philippe Auvergnon, directeur de recherche au CNRS, spécialiste du droit social.
Introduire un statut du travailleur-détenu, une « nécessité »
Pour Cyril Wolmark, “au-delà de la nécessité quasi morale d’accorder aux personnes détenues le bénéfice des droits fondamentaux”, “l’idée même de préparation à la réinsertion l’exige”. “Le contrat de travail, c’est la base d’un parcours d’insertion. C’est essentiel en termes de reconnaissance et de mobilisation de la personne”, abonde Raphaëlle Benabent, responsable de l’insertion par l’activité économique chez Emmaüs.
“Au-delà de la nécessité quasi morale d’accorder aux personnes détenues le bénéfice des droits fondamentaux, l’idée même de préparation à la réinsertion l’exige”.
Si le Code de procédure pénale pose expressément “que les relations de travail des personnes incarcérées ne font pas l’objet d’un contrat de travail”, il n’interdit pas non plus de donner un cadre juridique au travail en prison. D’après Cyril Wolmark, il n’est certes pas envisageable de plaquer tel quel le droit commun en prison, compte-tenu des contraintes inhérentes à la détention, “mais on peut tout à fait s’inspirer des principes du droit du travail, de certaines règles fondamentales, et les aménager en prison. D’autres pays l’ont fait, ce n’est pas une idée tout à fait iconoclaste”.
De fait, des exemples existent, parmi nos voisins européens. Même certains pays connus pour être très libéraux et qui, comme la France, ne reconnaissent pas la possibilité d’un contrat, sont sur des points précis plus protecteurs : en Allemagne, des congés payés, passés en prison, sont prévus. Au Royaume-Uni une indemnisation, certes très faible, est versée en cas de chômage technique. Les pays les plus intéressants en la matière sont l’Italie et l’Espagne.
En Italie, les détenus qui travaillent dans les ateliers de production signent les mêmes contrats de travail qu’à l’extérieur, directement avec l’entreprise.
Pour Philippe Auvergnon, c’est surtout du modèle espagnol, que la France devrait s’inspirer : en Espagne, que ce soit pour le service général ou le travail productif, on a reconnu, à partir de 2001, un droit du travail pénitentiaire spécial, qui recoupe à peu près à tous les droits individuels ou collectifs du droit commun du travail. Surtout, la relation de travail est gérée par une agence centrale étatique du “Travail pénitentiaire et de la formation pour l’emploi”. Une idée intéressante à plus d’un titre, que le chercheur, avec d’autres universitaires, propose de transposer à la France.
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