Explorer
Source : Courrier International (27/12/2021)
Voir le panoramaItalie : en prison, “la génération de mafiosi la plus cultivée de tous les temps”
Condamnés à perpétuité pour des crimes de sang, les anciens chefs mafieux de la Cosa Nostra sicilienne profitent de leur temps en prison pour lire et s’instruire. Entre brillants étudiants universitaires et néophilosophes, le quotidien Domani dresse le portrait de ces criminels épris de culture.
Il existe une mafia qui ne ressemble guère à celle que nous connaissons depuis toujours, vulgaire et ignorante. La mafia du passé, c’était celle des petits mots cryptiques et bourrés de fautes écrits par Bernardo Provenzano. Ou encore celle de Totò Riina, qui se vantait de ne pas être allé au-delà du CM2. Dans les repaires des mafieux ordinaires, les limiers trouvaient toujours une bible. Et pour le chapitre littérature, c’était souvent tout. Mais les boss qui ont grandi à l’ombre du clan historique des Corleonesi n’ont pas pris exemple sur leurs prédécesseurs. Au contraire, ils ont trouvé refuge dans la culture.
Enfermés pendant un quart de siècle dans des cellules qui n’étaient rien que des trous, ils se sont retrouvés seuls avec Fiodor Dostoïevski et ses Frères Karamazov, Léon Tolstoï, Italo Svevo, Boris Pasternak, Luigi Pirandello, les philosophes allemands, les théologiens protestants, Virgile et Emmanuel Kant. Et c’est ainsi, en cellule d’isolement, qu’est née la génération de mafiosi la plus cultivée de tous les temps.
Alors que dehors, on lit de moins en moins, dedans, on dévore les bouquins.
L’histoire de Giuseppe Grassonelli condamné à perpétuité en 1992 pour plusieurs meurtres en dit long. Envoyé pour la première fois dans la prison de l’île de Pianosa, le 15 novembre 1992, il trouve sous le matelas de sa couchette un exemplaire de Guerre et Paix. Il se met à le lire, mais, ne comprenant pas ce qui est écrit, il fond en larmes de désespoir. C’est alors que pour se sauver de l’enfer de la perpétuité, il décide de se lancer corps et âme dans les études. Au bout de quinze ans d’isolement, il a accouché d’un mémoire : “Les mouvements révolutionnaires napolitains de 1799 et les soulèvements dans les provinces du royaume”, d’un premier diplôme en lettres, et, bientôt, d’un second en philosophie. Voilà la révolution culturelle de la Cosa Nostra sicilienne.