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Source : France Info
Jihadistes détenus en Syrie : "Au lieu d'organiser une justice, on met ce problème dans un étouffoir"
Au nord de la Syrie, une ancienne université transformée en prison gérée par les Kurdes accueille désormais 5 000 hommes, les derniers irréductibles du califat de Daesh. Le journaliste Allan Kaval a pu accéder à ce camp de prisonniers jihadistes qui avaient rejoint le groupe État islamique. Dans le journal Le Monde, il signe une série d’articles accompagnés de photos édifiantes prises par la photographe Laurence Geai.
Invité de franceinfo lundi 4 novembre, Allan Kaval témoigne de cette situation intenable sur laquelle le gouvernement français “ferme les yeux”.
Des hommes “entassés meurent les uns après les autres”
Dans les trois bâtiments que comptaient l’ancienne université, les salles de classes ont été transformées en cellule. Dans chacune d’entre elle, 150 prisonniers s’y entassent. Des hommes mais également des enfants dont certains n’ont pas plus de 8 ou 9 ans. Ces hommes “vivent les uns sur les autres dans une ambiance de maladies, d’épidémies où ils sont traités avec les moyens du bord”, témoigne le journaliste. “Les forces kurdes, à qui on a donné cette charge de s’occuper des prisonniers de l’Etat islamique de toutes nationalités (de la Chine à la France en passant par la Russie, l’Algérie et le monde arabe), n’ont pas les moyens de le faire. Ces 5 000 hommes entassés meurent donc les uns après les autres des suites de leur maladie. “
La combinaison orange, ou “l’humiliation réciproque de l’ennemi”
Si les corps mutilés, les visages émaciés, les cadavres en sursis marquent le journaliste tout autant que l’odeur, ce dernier revient également sur la tenue des détenus : orange. Orange comme celle des détenus de Guantanamo. Une couleur qui a une histoire, explique le journaliste. “C’est la couleur qui, pour les jihadistes, était la couleur de l’humiliation et c’est donc la couleur qu’ils ont utilisée pour habiller leurs propres prisonniers, ceux qu’ils ont exécuté au fil de mises en scène macabres, dans une sorte de surenchère de l’horreur au cours des années de gloire de l’État islamique, entre 2014 et 2017. Les responsables kurdes de ce site de détention nous ont dit que c’étaient les Américains qui avaient apporté ces milliers de combinaisons orange et leur avaient demandé de vêtir leurs prisonniers avec celle-ci dans une sorte de nouvelle manche de l’humiliation réciproque de l’ennemi.”
Dans cette prison, les journalistes ont recensé au moins deux Français dont un jeune. Né à Roubaix d’une famille radicalisée, il a été emmené de force à 10 ans par un père qui lui avait fait croire qu’ils partaient en vacances en Turquie et qui s’est retrouvé du jour au lendemain dans une zone de guerre. Ces enfants et adolescents posent la question d’un rapatriement en France. “Une question sur laquelle le gouvernement français n’a pas vraiment avancé depuis le début du conflit. Il n’y a eu aucun travail concret,” estime le reporter.
“On crée une nouvelle mythologie du martyr”
Le journaliste avance également qu’en “laissant ces prisonniers jihadistes dans ces prisons, soumis à ces conditions inhumaines,” cela n’aidera pas les idées de l’Etat islamique à mourir. “Au contraire, on crée une nouvelle mythologie du martyr.” Ces prisons sont un signe “d’un aveu d’impuissance, d’un refus d’utiliser les instruments que nous avons conformes à nos valeurs pour traiter ce problème”, soutient le journaliste.
“L’État islamique qui a proclamé ce califat nous a finalement fait douter de nos propres valeurs en nous faisant douter de la capacité de notre modèle, qui est celui de l’Etat de droit, à traiter ce problème. Finalement, l’Etat islamique a créé une situation dans laquelle nos gouvernements ont l’impression que les outils qui sont dans nos mains, à savoir le droit, les principes, les valeurs humanistes qui fondent nos modèles politiques, ne sont pas en mesure de traiter ce problème. Et donc, au lieu d’organiser une justice, on met ce problème dans un étouffoir, que sont ces prisons, ces trous noirs juridiques de ces zones grises géopolitiques.”
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