Les philosophes du 18ème siècle avaient vu dans la privation de liberté l’opportunité d’un formidable progrès pénal par l’abolition des châtiments corporels. Les magistrats allaient disposer d’une gamme variée de sanctions parmi lesquelles la privation de liberté concernerait les infractions les plus graves.
Mais en raison de la concomitance de la révolution française et de la révolution industrielle, l’enfermement pénitentiaire, qui devait être un dernier recours, s’est immédiatement mué en modèle (quasi) unique de sanction pénale, le rôle des juges se bornant à évaluer la durée de l’enfermement sur base de ce que le détenu, devenu “travailleur empêché”, perdrait en termes de rémunération. Le modèle pénal social s’est donc mué d’emblée en modèle pénal économique.
Dans l’histoire de la Belgique, le recours à l’incarcération a toujours été en corrélation avec les indices de déclin économique : chronologiquement les crises du blé, du charbon, du pétrole et plus récemment l’augmentation du taux de chômage ont emporté, à crimes et délits équivalents, des peines allant du simple au double par rapport aux périodes d’essor.
Les criminologues ont démontré de longue date que l’inflation pénale n’a pas de concordance avec la réalité de la délinquance mais bien avec le sentiment d’insécurité économique d’une population confrontée à l’appareil de l’Etat qui, incapable d’apporter des solutions structurelles à la dérégulation des marchés, recourt à la répression pour créer l’apparence d’une reprise de la maîtrise.
Dans cette illusion, la quête d’un sens à donner à la peine confine à la perversion.
De fait les détenus sont aujourd’hui quantité négligeable dans la réflexion sur le sens de la peine. Le discours politico-administratif, de type managérial, s’exprime en termes de procédures orientées résultats, de réduction des coûts, d’infrastructures et de bien-être des travailleurs. Partant, les inspecteurs des finances et les organisations syndicales sont devenus les principaux décideurs des projets qui pourront ou non être menés dans nos établissements.
Les régimes s’humanisent, certes, mais les facteurs de dégradation de la gestion de la détention se cumulent de sorte que l’apparente modernisation des textes réglementaires ne débouche pas sur une évolution significative de la prison qui reste fondamentalement un lieu d’exclusion et d’infantilisation. Ce sont là les véritables compétences de la prison, isoler et punir.
L’évidence est pourtant que la punition n’a pas de vertu pédagogique et qu’exclure en vue de réinsérer est un non-sens total. Aussi paradoxal cela peut-il paraître, la protection de la société passe par l’abolition de la peine privative de liberté.
En détruisant le lien social qu’il prétend réparer ensuite, le système d’administration de la justice pénale contribue à alimenter son propre arriéré. Les peines prononcées sont de plus en plus longues et subies de plus en plus longtemps, provoquant la surpopulation qu’aucune alternative ni aucune mesure d’aménagement ne parviennent à maîtriser.
L’image la plus illustrative de ce système est celle de la baignoire qui déborde pendant que certains écopent pour réduire l’inondation. La facture d’eau est salée mais personne n’envisage la solution la plus appropriée, couper le robinet d’alimentation.
Ce gaspillage, tant financier qu’humain, doit cesser.