On retrouve quatre formes de sexualité :
- Une sexualité clandestine
Celle-ci se caractérise par des processus de transgression : les acteurs transgressent les règles édictées et vivent donc leurs pratiques sexuelles dans les interstices de l’arsenal coercitif déployé pour les endiguer.
On le voit notamment dans le cas des visites au parloir, mais aussi dans deux autres situations qui n’ont quasiment pas été étudiées dans les travaux portant sur la sexualité en prison. La première concerne les relations intimes entre les femmes et les hommes détenus. Tout est mis en œuvre au sein de l’institution pour qu’ils ne puissent entrer en contact. Néanmoins de nombreuses femmes détenues déclarent craindre ces rencontres au regard de leurs expériences passées de violences, notamment sexuelles (et se déclarent d’ailleurs soulagées de ne plus avoir à répondre aux pressions sexuelles de la part de leur conjoints du fait de leur emprisonnement).
La deuxième situation concerne les relations intimes entre une femme détenue et un(e) professionnel(e) ou un(e) intervenant(e) extérieur(e). Il existe une telle suspicion que les hommes limitent d’eux-mêmes leurs relations avec les femmes détenues à quelque chose de superficiel ; à l’exception des gradés masculins qui se protègent grâce à l’adoption d’une posture paternaliste.
Cette forme de sexualité se caractérise par un processus d’invisibilisation, l’ensemble des acteurs carcéraux –détenues y compris– tentant conjointement d’invisibiliser l’activité sexuelle.
Il ne s’agit donc pas de l’endiguer comme dans la sexualité clandestine, mais de la reléguer dans la sphère privée.
On le voit dans le cadre des visites au parloir puisque d’une part les détenues tentent au maximum de ne pas s’exposer au regard d’autrui, et d’autre part car les agents pénitentiaires sont extrêmement gênés d’intervenir (au point des fois de ne pas le faire dans les parloirs individuels).
On retrouve ce processus d’invisibilisation pour les pratiques homosexuelles, à ceci près qu’il faut introduire une distinction entre les espaces publics de la détention (coursives, salles d’activité), semi-publics (cour de promenade, douches), et “privés” (cellules). La sexualité ne doit pas se donner à voir dans les espaces publics (intervention et sanction immédiate) et doit impérativement être reléguée dans les cellules. La plupart des couples se conforment d’eux-mêmes à ce processus d’invisibilisation.
Elle se caractérise par un processus d’affichage : la sexualité est ouvertement exposée.
On l’observe d’abord avec les discussions et les plaisanteries à caractère sexuel entre les acteurs du quartier femmes. Elles existent au sein de trois groupes : le groupe des détenues, le groupe des agents pénitentiaires et le groupe formé par l’ensemble des acteurs du quartier. Elles constituent le moyen de maintenir la cohésion au sein des groupes par une action à la fois inclusive (rassemblent des individus différents en atténuant les frontières qui les séparent : on le voit notamment lorsque les agents et détenues plaisantent ensemble sur le sujet) ; mais aussi exclusive (mise à l’écart des personnes catégorisées hors-groupe, tels les professionnels non affectés à la détention féminine ou encore les détenues accusées d’atteintes aux enfants).
Mais la sexualité ostensible n’est pas toujours acceptée, notamment dans le cas des relations homosexuelles délibérément affichées (que ce soit par provocation, à des fins instrumentales…), donnant alors lieu à des conduites homophobes entre détenues et à de la délation.
Enfin les processus d’exposition débordent les seules interactions entre les acteurs de la détention féminine, puisqu’ils concernent aussi plus globalement les rapports qu’entretiennent les femmes et les hommes sur le sol pénitentiaire. On observe une forte sexualisation des interactions, qui relève en fait d’une démonstration de pouvoir :
• hors du quartier femmes, ces conduites participent d’un processus de rappel du pouvoir des hommes – physique et symbolique – sur le sol pénitentiaire
• le quartier femmes apparaît ainsi comme une enclave où s’inversent ces rapports de pouvoir : les femmes montent aux hommes que ce sont elles qui ont le pouvoir.
On le voit notamment à travers les prises à partie très crues, voire les conduites d’exhibition à l’encontre des hommes de passage. Cela explique que les détenues qui craignent les hommes incarcérés lorsqu’elles les croisent n’hésitent pas en revanche à leur crier des obscénités de leur fenêtre : elles se sentent à l’abri dans leur quartier.
- Une sexualité rationalisée
Cette forme de sexualité se caractérise par un processus de rationalisation ; c’est-à-dire que le caractère sexuel de certaines situations est mis en abstraction par les acteurs carcéraux : ils le diluent dans d’autres problématiques présentées comme prépondérantes.
Ce processus de rationalisation apparaît d’abord sous-tendu par une logique instrumentale. On le voit avec les détenues qui “coffrent”, c’est-à-dire qui utilisent leur vagin pour transporter de la drogue vers et hors de la détention. Mais on perçoit surtout cette logique instrumentale dans le cadre des échanges des professionnels de l’écoute – psychologues, psychiatres et juges d’instruction – avec les détenues accusées de complicité ou d’agressions sexuelles sur mineurs. Les échanges sont technicisés pour répondre à un but précis et les détenues sont rappelées à l’ordre dans le cas où elles débordent ces limites d’énonciation, ce qui leur permet de se préserver de la contamination symbolique induite par l’écoute de tels récits.
Le second processus de rationalisation se fonde sur une entreprise de normalisation, entendue comme l’effort d’exercer une influence transformatrice sur le système de pratiques et de représentations sexuelles des détenues. Les dispositifs de prévention en représentent le moyen privilégié, d’une part pour prévenir les comportements sexuels à risque (infections mais aussi grossesse) et d’autre part pour prévenir les pressions sexuelles (avec le conjoint mais aussi entre détenues). Les professionnels (notamment les soignants et les travailleurs sociaux) diffusent ainsi un discours normatif de ce que doit être une “bonne sexualité”, en espérant que les détenues les intériorisent et les exportent hors de la prison à leur libération.
LA SEXUALITÉ en prison de femmes n’est pas nécessairement une sexualité déstructurée et dégradée, il s’agit avant tout d’une sexualité en évolution ; ce que l’on comprend en ne limitant pas l’intérêt à la période de l’incarcération mais en en questionnant plus largement les biographies sexuelles des personnes. Par ailleurs ce n’est pas une sexualité particulière et spécifique du fait du contexte de son exercice.
En déplaçant le regard sur les normes sociales qui traversent les murs, on observe une entreprise de conformation des conduites sexuelles des détenues à un modèle légitime de sexualité féminine.
La prison de femmes apparaît ainsi comme un espace social de paroxysation des injonctions normatives contemporaines à destination des femmes.
Si la sexualité se tient dans un indéniable contexte coercitif fait de règlements et de sanctions, il existe d’autres formes de contrôle beaucoup moins perceptibles. La sexualité en prison de femmes est soumise à quatre formes de contrôle que l’on retrouve pareillement dans la société civile : un contrôle formel (les règlements et sanctions), un contrôle informel (la régulation s’observant notamment au travers de la désapprobation et de la délation), un contrôle personnel (l’autocontrôle par lequel les acteurs se retiennent eux-mêmes d’agir) et un contrôle incitatif (la diffusion en amont de représentations normatives dans le but de favoriser le contrôle personnel).