Comme on le sait, les conditions de détention rendent les prisonniers particulièrement vulnérables face à la pandémie. La propagation du virus est facilitée par des facteurs tels que la surpopulation, les mauvaises conditions matérielles existant en milieu carcéral, la piètre qualité des services de soin en prison, et le plus fort taux d’incidence de maladies avec facteurs de comorbidité chez les personnes incarcérées. Alors que de nombreux pays ont tenté, au printemps 2020, de réduire la population carcérale et d’assurer la distanciation physique dans les établissements, la situation reste critique en bien des lieux, avec de nombreuses prisons qui deviennent des épicentres de la maladie.
Au 1er février 2021, l’ONG Prison Insider a rapporté que plus de 504 000 prisonniers ont été testés positifs à la Covid-19 dans 121 pays, et que plus 3 800 prisonniers en sont morts, dans 47 pays.
Aux États-Unis, un prisonnier sur cinq (en combinant niveau fédéral et États) a été testé positif, d’après l’organisation à but non lucratif the Marshall Project. Des nouvelles récentes indiquent que les contaminations derrière les barreaux ont également grimpé en flèche dans d’autres pays, dont le Canada, le Royaume-Uni, la France, l’Espagne, le Pakistan et la Malaisie.
Des chercheurs de l’Université d’Oxford et des centaines d’experts étatsuniens de la santé ont souligné la nécessité que les prisonniers figurent parmi les premiers groupes vaccinés, rejoignant en cela les recommandations de différentes instances des Nations Unies et du Conseil de l’Europe. Le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme a en effet souligné qu’“un accès abordable et non discriminatoire au vaccin fait partie des droits de l’homme,” et le Comité de bioéthique du Conseil de l’Europe a rappelé le principe d’équité d’accès aux soins de santé. De manière similaire, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies a insisté sur l’obligation qu’ont les gouvernements de fournir des vaccins aux personnes les plus exposées au virus, parmi lesquelles les personnes détenues.
En vertu du droit international, c’est aux gouvernements qu’il appartient de garantir l’accès aux vaccins pour les personnes détenues. Le droit à la santé est en effet un droit fondamental, reconnu internationalement comme bénéficiant également aux prisonniers.
Les États sont responsables du traitement des personnes privées de liberté et doivent prendre des mesures appropriées pour protéger leur vie et leur santé. Cette obligation inclut la protection contre les maladies contagieuses et, partant, l’accès au vaccin contre la Covid-19. Des mesures fortes sont également nécessaires dans les lieux de détention pour contrôler la maladie dans l’ensemble de la communauté.
Cependant, tous les pays n’ont pas inclus les personnes détenues dans les premières phases de vaccination. Aux États-Unis, le pays présentant le plus fort taux d’incarcération au monde, le Bureau fédéral des prisons a annoncé que la priorité serait donnée aux personnels pénitentiaires, mais pas aux détenus, alors que les approches sont très différentes d’un État à l’autre. En France, la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté a appelé le gouvernement à adopter une stratégie de vaccination spécifique pour les établissements pénitentiaires, alors que les autorités ont affirmé vouloir y appliquer les mêmes règles que pour l’ensemble de la population. Certains États restent indécis, à l’image de l’Irlande,pays où l’administration pénitentiaire a demandé que les prisonniers soient considérés comme une population prioritaire, sans que le gouvernement n’ait encore arrêté sa décision. Dans le même temps, d’autres pays semblent prêts à adopter une approche plus proactive, qui, malheureusement, leur vaut des critiques à l’échelle nationale. Ainsi, par exemple, la décision du gouvernement canadien de donner aux prisonniers la priorité pour la vaccination a déclenché une avalanche de critiques de la part du Parti conservateur. En Israël, après l’intense controverse déclenchée par le ministère de la Sécurité publique, le gouvernement a confirmé que tous les détenus seraient vaccinés au mois de janvier. Enfin, dans d’autres pays, la question de la priorité à donner aux personnes privées de liberté pour la vaccination ne semble pas débattue, avec le risque que ces personnes soient laissées pour compte.
Aucune méthode de priorisation n’est universellement pertinente. Chaque pays doit faire des choix en fonction de la situation locale et de facteurs spécifiques tels que la disponibilité du vaccin, l’analyse risques-avantages pour différents groupes de la population, la quantité et la rapidité de production, l’état des hôpitaux et du système de santé, et les conséquences économiques et sociales de la pandémie. Cependant, face à des choix difficiles, le Dr Tedros, Directeur général de l’OMS, a appelé les dirigeants du monde à abandonner tous ensemble l’attitude du “moi d’abord”. Cette logique doit également être appliquée aux lieux de détention, qui ont déjà, dans le monde entier, payé un lourd tribut au virus. Aucune condamnation ne devrait conduire une personne à une issue fatale ni avoir pour conséquence des complications médicales évitables.