Mesdames, Messieurs les députés,
Aujourd’hui, vous êtes appelés à voter le volet justice du projet de loi de finances 2017.
Vous allez devoir vous prononcer sur l’investissement d’1,5 milliard d’euros dans l’accroissement du parc carcéral français, dont 1 158 milliard pour le lancement d’une nouvelle vague de construction de plus de 4 000 cellules supplémentaires.
S’il est adopté, ce budget viendra alourdir une dette de 6,3 milliards d’euros contractée pour le financement des programmes immobiliers engagés depuis plus de dix ans et dont le remboursement s’étale d’ores et déjà sur les 20 prochaines années. Il viendra aussi asphyxier les ressources disponibles et mettre en gage :
-
l’entretien du parc carcéral actuel
Seuls 514 millions d’euros ont été alloués à ce secteur entre 2007 et 2015 quand les besoins estimés étaient deux fois supérieurs (1,2 milliards), entraînant un vieillissement prématuré des infrastructures. Les fonds prévus dans le projet de budget sont largement insuffisants pour rattraper le retard accumulé.
-
le développement des activités en détention
Actuellement, une personne détenue ne peut prétendre en moyenne qu’à une seule heure d’activité par jour. Le temps de détention est vide de sens et l’oisiveté forcée source de tensions et de violences.
-
l’accompagnement des personnes dans leurs démarches d’insertion
Malgré l’augmentation des recrutements, les conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP) continuent à suivre entre 80 et 120 personnes placées sous main de Justice chacun. Pour garantir un suivi de qualité, le Premier ministre Jean-Marc Ayrault avait promis d’atteindre l’objectif de 40 dossiers par CPIP d’ici 2017.
-
le renforcement du suivi des personnes prises en charge par la Justice en milieu ouvert
Les sommes prévues pour le développement des alternatives à l’incarcération et des aménagements de peines sont 32 fois moins importantes que celles prévues pour l’accroissement du parc carcéral. Elles sont pourtant moins coûteuses que la prison et plus efficaces pour permettre une meilleure réinsertion et par conséquent prévenir la récidive quand la prison fragilise les liens sociaux et fait de la sortie de prison un véritable parcours d’obstacles.
Surtout, l’accroissement du parc carcéral ne permettra pas de résorber la surpopulation, car il en traite les symptômes sans agir sur les mécanismes qui en sont à l’origine. En effet, ce sont bien les effets des choix de politique pénale qui conditionnent le nombre de personnes incarcérées et non le niveau de délinquance. Ainsi, les pays ayant eu recours à une extension du parc pénitentiaire ont vu leur taux de détention s’accroître, les nouvelles prisons se retrouvant également surpeuplées.
“Pourquoi les responsables politiques français sont-ils à ce point aveugles aux résultats de la recherche et à ce qui se passe dans le monde ?”
Norman Bishop, fondateur du département de recherche et développement de l’administration pénitentiaire suédoise, expert en pénologie auprès du Conseil de l’Europe. Octobre 2016.
Alors que de très nombreux travaux de recherche en France et à l’étranger ont pointé les dangers d’une réponse carcérale économiquement et socialement coûteuse et contreproductive ;
À l’heure où de plus en plus de pays sont engagés dans un mouvement transcendant les clivages politiques pour chercher d’autres solutions pour lutter contre la délinquance ;
Alors que le Conseil de l’Europe appelle ses Etats membres à la mise en œuvre d’une politique de réductionnisme pénal pour endiguer durablement la surpopulation des prisons ;
Alors que les éléments d’une telle politique sont connus et mis en œuvre avec succès par plusieurs de nos voisins européens ;
Nous vous invitons à ne pas être “aveugles aux résultats de la recherche et à ce qui se passe dans le monde” et à ne pas faire le choix d’une réponse politiquement confortable mais objectivement néfaste.Nous en appelons à votre sens des responsabilités et de l’intérêt général en refusant d’adopter ce volet du projet de loi de finances 2017.