Madagascar : le droit à la santé ne doit pas être “oublié” dans les prisons

En tant que chercheuse affectée à Madagascar, j’ai étudié l’impact de cette surpopulation et du recours abusif à la détention provisoire. Les prisonniers avec qui j’ai échangé – notamment des enfants de 13 ans seulement et des femmes enceintes – se plaignent de l’insalubrité et de la promiscuité en cellule. Ces dernières sont infestées de rats et il y fait extrêmement chaud. Ils rapportent ne pas avoir accès à des soins médicaux satisfaisants. Les conséquences sur les prisonniers sont évidentes. Elles vont d’un mauvais état de santé physique et mentale à – dans les cas extrêmes – la mort.

Mais l’absence d’accès à la santé dans les prisons est un problème qui concerne la société dans sa globalité : elle induit un risque de santé publique pour les familles et les communautés qui vivent à l’extérieur. Elle ébranle aussi la confiance du grand public dans le système judiciaire, et, en définitive, constitue une menace pour l’État de droit.

Amnesty International a milité inlassablement, ces trois dernières années, en faveur d’une amélioration des conditions de détention et de l’accès des prisonniers à la justice à Madagascar. Certains de ces efforts ont porté leurs fruits, avec notamment la visite par le président Andry Rajoelina d’une prison au lendemain de la publication de notre rapport “Punis parce qu’ils sont pauvres” (2018), dans lequel nous soulignons l’impact du système de justice pénale dysfonctionnel du pays sur les droits humains. Le président a formulé de grandes promesses, s’engageant à prendre à bras-le-corps les échecs de ce système. Ces promesses ont été suivies de réformes judiciaires et de libérations de prisonniers. Pour autant, notre travail est loin d’être terminé.

Quatre-vingt-huit détenus de la prison de Farafangana à Madagascar ont, en août 2020, tenté de s’évader. Ils s’étaient précédemment déclarés très inquiets au sujet du risque d’infection à la Covid-19 au regard de la surpopulation sévère et du manque d’accès aux soins médicaux. Les prisonniers ont été gravement affectés par l’absence de visites familiales ou de leur avocat. Le ministre de la Justice aurait ordonné aux forces de sécurité gouvernementales de “prendre toutes les mesures nécessaires” pour faire face à la situation. Celles-ci ont tué 23 prisonniers.

Les violations du droit à la santé des prisonniers sont monnaie courante, non seulement à Madagascar, mais aussi dans le reste du monde. La crise de la Covid-19 a mis en lumière des années de sous-investissement et de négligence des services de santé en prison.

Amnesty International a publié, en mars 2021, un rapport intitulé “Prisons oubliées, la pandémie de Covid-19 en milieu carcéral”, réalisé en collaboration avec Prison Insider. Ce rapport témoigne de la manière dont les prisonniers du monde entier ont été oubliés durant la pandémie de Covid-19. Pour une grande partie des 11 millions de personnes que l’on estime être emprisonnées à travers le monde, l’accès à des produits d’hygiène au savon, à un réseau d’assainissement correct ou à des équipements de protection individuelle (EPI) est difficile. Le respect de la distanciation physique est problématique (quand il n’est pas tout simplement impossible), et l’accès aux soins est limité.

En outre, les prisonniers sont souvent soumis à des mesures pouvant conduire à d’autres violations des droits humains, par exemple le recours excessif au placement à l’isolement ou l’interdiction de contacter les membres de la famille ou l’avocat.

Il est difficile d’évaluer le nombre total d’infections et de décès liés à la Covid-19 en prison, car aucun gouvernement n’a publié à ce sujet de données fiables et à jour. Notre rapport relève, dans les prisons du monde, des tendances préoccupantes vis-à-vis des infections à la Covid-19. Les prisonniers de nombreux pays, au début de la pandémie, ont été dans l’impossibilité d’accéder à des EPI et des tests de dépistage. Cette pénurie reste d’actualité à Madagascar. Amnesty International collabore actuellement avec une ONG locale pour fournir aux prisonniers de deux secteurs du pays des EPI et des services juridiques.

Cette initiative ne semble être qu’une goutte d’eau dans l’océan. Le temps est venu pour les gouvernements du monde de répondre aux besoins des prisonniers en matière de mesures sanitaires préventives. Un pas dans cette direction serait de donner, dans les plans de vaccination nationaux, la priorité aux personnes en détention. Beaucoup de prisonniers répondent aux critères prioritaires, leur mauvais état de santé étant aggravé par des années d’emprisonnement ; pourtant, peu de pays ont pour le moment rendu explicite l’inclusion des prisonniers et des personnels pénitentiaires dans les groupes prioritaires.

Négliger le droit à la santé des personnes en prison aura des conséquences catastrophiques, non seulement pour les prisonniers et leurs familles, mais aussi pour les systèmes de santé publique en général.

Amnesty International appelle tous les pays à s’assurer que les prisonniers particulièrement susceptibles d’être contaminés par la Covid-19 sont vaccinés avec le même niveau de priorité que les groupes à risque du reste de la population. Il ne s’agit pas seulement d’éthique, ni même de respect des obligations étatiques envers les instruments internationaux des droits humains : cette démarche est également essentielle pour mettre fin à la pandémie.