En 2015, le prix national de l’innovation sociale de l’Economie Sociale et Solidaire est décerné à la coopérative Transport Challenger, par le Conseil National Des Chambres régionales de l’économie sociale et solidaire (CNCRESS). Ce prix récompense une idée originale dans l’air du temps : favoriser la réinsertion de personnes ayant été condamnées par la justice, en leur proposant un emploi pérenne de chauffeurs dans le secteur du Transport public particulier de personnes.
La particularité de notre service est d’accompagner des personnes fragiles dans leurs déplacements ponctuels ou quotidiens. Et cette expérience marche : la prise en charge “jusqu’au dernier mètre” de nos anciens, de travailleurs handicapés, d’enfants plâtrés donne satisfaction. Notre supplément d’attention fait la différence, entre une transaction commerciale habituelle et un service attentif et bienveillant. Il suscite un sentiment d’utilité sociale qui permet aux chauffeurs de retrouver confiance et estime de soi. Cette activité permet aussi de modifier les représentations stéréotypées à l’endroit des anciens détenus, de faciliter la réinsertion sociale et de prévenir la récidive.
Mais ce prix de l’innovation sociale va être rendu à ses promoteurs. Les changements législatifs votés en “procédure accélérée” pour mettre fin aux conflits entre taxis et VTC imposent dorénavant la condition d’honorabilité à nos chauffeurs. En pratique, les personnes ayant un casier judiciaire avec mention d’une condamnation à plus de 6 mois d’emprisonnement ne peuvent plus obtenir la carte professionnelle nécessaire pour exercer. La coopérative Transport Challenger n’a donc d’autre choix que de cesser son activité, économiquement florissante, dont la plus-value sociale est indiscutable et reconnue.
Malgré l’immense déception, le dépit, la colère, nous restons persuadés que cette expérience est un modèle précurseur pour sortir de nos difficultés actuelles à faire société ; tant dans son mode de gouvernance, que sur la capacité des personnes ayant été placées en détention à réintégrer le corps social.
Le modèle coopératif sur lequel nous nous sommes adossé est la seule alternative crédible actuelle au capitalisme néolibéral, qui détruit notre modèle social. De fait, l’Économie sociale et solidaire est un projet politique en soi. La coopérative crée les conditions d’une activité économique raisonnée et raisonnable. En associant statutairement les salariés à la gestion de l’entreprise, elle se met à l’abri de la cupidité associée à la rémunération du capital.
Face au licenciement “réglementaire” imposé à Transport Challenger, nous soulignons le gâchis social, économique et humain qu’il provoque. Celui-ci révèle le paradoxe des politiques publiques. D’un coté, une main nous a été tendue, pendant quatre ans, dans le cadre des aides à l’emploi ; de l’autre, nous sommes chassés d’un coup de pied, évincés du transport de personnes en raison d’un casier judiciaire.
Notre échec démontre toutes les ambiguïtés qu’entretient notre société dans ses rapports à la justice et aux personnes condamnées. Il n’y a jamais eu autant de détenus qu’actuellement : un habitant sur mille est en prison, un tiers en attente de jugement. À des peines de plus en plus sévères, s’ajoutent des conditions de détention indignes, entraînant humiliation et déresponsabilisation. Construire de nouvelles places de prisons ne masquera pas l’échec des politiques de réinsertion. Sur la problématique des casiers judiciaires, notre expérience est un cas concret ; le législateur semble persuadé que la société ne peut tolérer qu’un ancien prisonnier, condamné puis réhabilité, exerce la profession de taxi ou de VTC, tandis que nous démontrons le contraire depuis quatre ans.
Ce postulat d’honorabilité (qui ne concerne d’ailleurs pas les élus de la Nation) est discriminatoire, niant le rôle de réparation de la justice et assignant les condamnés à un statut perpétuel de délinquant en puissance. Cette peur est anachronique, injuste, rappelant Javert poursuivant Jean Valjean, parce que bagnard, sans répit et sans fin.
Cette expérience prend fin brutalement, victime collatérale d’un combat qui lui est totalement étranger. Il a été mené par les tenants de la dérégulation du travail et du minimum social, permettant aux classes moyennes de nos grandes villes d’avoir accès à faible coût, à une berline noire de grosse cylindrée avec un chauffeur.
L’exigence d’honorabilité dans les professions réglementées ne doit pas s’imposer comme une évidence. Il faut que cette politique soit évaluée et justifiée, au-delà des arguments de façade et des préjugés communément renvoyés.
Les restrictions que cela impose en matière de réinsertion sont trop importantes, sacrifiant l’exigence morale et la rigueur sociale à la vindicte sécuritaire.
— Publié le 2 mai 2017.¶