Spectacle Prison Possession de François Cervantes du 30 janvier au 4 février 2018 à la Maison des Métallos, Paris. Soliloque sensible sur l’exclusion d’un homme. Entretien avec l’auteur.
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Comment la confiance d’une personne détenue s’acquiert-elle ?
Il a d’abord été question d’intuition et d’une envie profonde de passer par l’écriture, en tant que lieu de solitude, déshabillé de toute condition sociale. La question de la confiance ne s’est jamais réellement posée car chacun apporte ce qu’il lui semble juste de raconter. Il n’y avait ni attente, ni demande particulière et la médiation écrite permet de penser, poser ce qui est dit, d’y revenir, de réfléchir, c’est plus confortable. Bien entendu, selon les personnalités, les registres empruntés sont différents. L’on s’adressait à moi parfois comme “Monsieur l’auteur” ou plutôt comme à une autorité. L’échange était réellement intéressant lorsque chaque correspondant pouvait en jouir à sa manière, sans se poser la question du but mais dans l’échange d’être humain à être humain.
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Pourquoi, à votre tour, c’est en Eric que vous avez choisi de placer votre projet ?¶
L’intérêt a été immédiat, réciproque. Eric n’était pas dans la plainte. Nous étions dans un rapport d’égal à égal, entre deux personnes qui souhaitaient se connaître. Le lien était permanent, il l’est encore aujourd’hui. Malgré des réalités foncièrement différentes. Pour exemple, je pouvais être récalcitrant à l’idée de lui raconter mes déplacements au regard de sa privation totale de liberté. L’échange était très fluide et l’amour commun pour l’écriture rendait les choses plus facilement dicibles, sans décalage.
C’est une personne également très avide de savoir et d’une curiosité insatiable. Lorsque qu’il a reçu le texte de la pièce, après une année placée à l’isolement, il en a fait une première lecture dans le cadre d’un atelier d’écriture en prison. Ses co-détenus ont voulu en savoir plus. La première chose qu’il ma dite suite à cette expérience :
“Donc ça veut dire que ça se partage”.
A travers les différentes représentations de la pièce jouées en détention, j’ai pu constater à quel point la préoccupation première des personnes incarcérées est celle de savoir comment leur histoire est perçue, reçue à l’extérieur. Est-ce que l’on pense à eux ? Ont-ils sombré dans l’oubli ? Les gardiens sont également satisfaits que l’on puisse parler de la prison à l’extérieur car c’est un sujet tabou. A contrario, je n’ai jamais reçu de retour de l’administration pénitentiaire. Ni même de la personne censurant les courriers. Je l’avais contacté car son rôle avait une place toute particulière dans l’élaboration de la pièce, du fait de la correspondance entre Eric et moi.
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Ce travail aboutit-il à une amitié durable avec Eric ? Et en quoi en sortez-vous changé ?¶
Nous serons toujours en lien quoi qu’il arrive car c’est une relation unique qui s’apparente à de l’amitié mais qui pour autant n’en est pas vraiment une. Il y a une reconnaissance mutuelle infinie. J’ai toujours tenu à ce que le texte demeure à nos deux noms et à le tenir informé de tout ce qui concerne la pièce.
Cette rencontre a transformé mon regard sur la détention, je n’en connaissais que peu de choses. La prison m’a contaminé. C’est devenue une question obsédante, insoluble, une abération pour moi. Je guette les moments où je pourrais prolonger ce travail de mise en lien entre le dedans et le dehors. La prison rend tout le monde invalide, les détenus, leurs familles, les gardiens, leurs entourages. Le nombre de personnes contaminées ne cesse de croître. Il faut continuer à faire des choses pour éclairer cet endroit.
* — Propos recueillis par Anne-Charlotte Le Marec*¶