Prison Insider. Expliquez nous, en préambule, en quoi consiste votre activité de défenseure publique ?¶
RENATA TAVARES DA COSTA. Tous les traités internationaux des droits humains garantissent à la personne inquiétée dans un procès pénal le bénéfice d’un avocat dans lequel il ait confiance afin d’assurer sa défense. La Convention américaine va plus loin. Elle créé l’obligation pour les Etats de désigner un avocat, dans le cas où la personne inquiétée ne l’aurait pas fait elle-même.
Historiquement, les Etats américains, notamment latino-américains, ont toujours assuré la mise en place de professionnels compétents pour garantir une assistance juridique complète et gratuite aux personnes n’ayant pas les moyens de rémunérer les services d’un avocat.
Au Brésil, par exemple, cette assistance, fournie par l’Etat, est une attribution unique de la Defensoria [de la défenseure publique, activité de Renata Tavares Da costa, ndlr].
La Defensoria est une institution autonome, comme le ministère public et la magistrature. Elle dispose d’un budget propre et de professionnels du droit, issus d’un concours public.
PI. Quels mécanismes sont à l’oeuvre dans les prisons brésiliennes ?¶
RTC. Les prisons brésiliennes sont les nouvelles maisons d’esclaves, les senzalas. Le Brésil est le fruit d’une histoire génocidaire d’un groupe de personnes, en l’occurrence de la population noire. A l’époque on observait de grandes maisons où les blancs avaient accès à toutes les commodités pour bénéficier d’une vie heureuse et saine. Et cela aux dépends du peuple de la senzala, afro-descendant réduit à l’esclavage.
Depuis, ce groupe de personnes vulnérables est toujours opprimé. Avant par l’esclavagisme, aujourd’hui par le système pénal d’une justice régie en grande partie par des juristes hommes, blancs et hétérosexuels. La pauvreté est un autre paramètre important.
En alliant l’idée de race, de classe et de genre, les acteurs du système parviennent à déterminer les personnes qui pourront bénéficier ou non de la justice en fonction de leur catégorie d’appartenance. On comprend donc bien comment l’application de la loi fabrique la troisième population carcérale de la planète.
C’est dans ce paysage que l’on retrouve la prison brésilienne, avec son incarcération de masse, son manque d’eau, la nourriture périmée, etc…
L’absence d’accès aux besoins les plus élémentaires engendre un niveau de violence et de stress inconcevable. C’est dans ce climat que les factions criminelles apparaissent et prennent le contrôle des lieux.
PI. Selon vous, le système carcéral a-t-il connu des évolutions ces dernières années ?¶
RTC. Il y a régression ! La prison est la prison. Vous pouvez peindre les cellules, mettre des étagères pour les livres, l’expérience de l’enfermement reste beaucoup plus destructive que le crime. Le Brésil incarcère beaucoup et il incarcère mal !
PI. Avez-vous été témoin en prison d’un événement particulièrement marquant ?¶
RTC. Je pense que la scène la plus marquante à laquelle j’ai pu assister en huit années de défense publique est celle de la séparation d’un enfant de sa mère.
Un jour, une détenue a reçu la visite de son fils de trois ans, accompagné de sa grand-mère. Soudain, un surveillant a appelé la jeune femme et elle a dû partir. Son fils lui a couru après en larmes. Je me suis effondrée en pleurs à mon tour. Aucun crime commis par cette femme ne pourrait avoir produit un tel niveau de souffrance. J’en pleure encore aujourd’hui.