Prisons en Europe : où va-t-on ?

Les statistiques pénales annuelles du Conseil de l’Europe. [extraits]¶

Depuis 1983, le projet SPACE collecte des informations pour les 47 pays membres de l’Union européenne. Les pays nordiques, l’Allemagne et les Pays-Bas présentent le taux d’incarcération le plus bas. Contrairement aux prédictions de type marxiste sur la relation entre la prison et l’économie, la crise financière s’est accompagnée d’une diminution de la population pénitentiaire. La prison reste un problème masculin, avec 5 % de femmes en moyenne parmi les prisonniers. L’implication plus marquée des hommes dans les comportements violents peut expliquer cet écart. 27 % des peines d’emprisonnement durent entre un et trois ans. Mais l’interprétation est délicate : on sait que l’abolition des peines courtes mène à un durcissement des autres peines. La pression politique tend à pousser les juges à appliquer des peines plus dures, pour l’exemple. Dans beaucoup de pays, la détention provisoire explique le taux d’incarcération élevé. Dans les pays d’Europe occidentale, ce taux est lié aux détenus étrangers qui ne peuvent pas être mis en liberté conditionnelle, faute de domicile fixe. La proportion d’étrangers dans la population carcérale en Europe orientale est en-dessous de 5%. En Grèce par contre, elle s’élève à plus de 50%.

La question clé est la durée de l’emprisonnement. La seule manière de vraiment réduire les chiffres de la population carcérale, c’est de réduire la longueur des peines. Or, c’est la mesure la plus difficile à faire accepter par les responsables politiques.

Les peines alternatives ne sont pourtant pas non plus la panacée. Dans la majorité des pays, la population qui est placée sous contrôle (bracelet électronique, libération conditionnelle, travaux d’intérêt général) est plus importante que celle qui est en prison. Ces alternatives se traduisent en pratique par la création de peines supplémentaires : on parle d’élargissement du filet pénal.

La santé mentale en prison. [extraits]¶

Les annexes psychiatriques en prison sont une spécificité belge. En Belgique, comme dans d’autres pays d’Europe, les personnes souffrant de troubles psychiatriques ne peuvent pas faire l’objet de condamnation pénale car elles nécessitent des soins. Elles font l’objet d’un internement dans un “établissement de défense sociale” (EDS), l’équivalent d’un hôpital psychiatrique. Sauf que ceux qui s’y trouvent restent littéralement parqués dans ces lieux. Les personnes en détention provisoire sont aussi concernées, puisqu’elles n’ont pas encore été jugées, et donc on ne sait pas si elles doivent faire l’objet d’un internement.

Les annexes psychiatriques en prison ne sont pas des endroits de soin. Les détenus sont en majorité assommés de médicaments. Certains y patientent pendant quatre ans. La Cour européenne des droits de l’homme, considérant qu’il s’agit d’un traitement inhumain et dégradant, a condamné la Belgique à plusieurs reprises. La section belge de l’OIP revendique de mettre fin à cet état de fait.

Un organe s’est créé récemment pour recueillir le droit de plainte des détenus et s’opposer à certaines décisions des directeurs de prison. C’est une avancée positive. Les détenus ont le droit d’être assistés d’un avocat quand ils déposent plainte. La Belgique ne dispose toutefois pas de Mécanisme national de prévention, contrairement à la France. Chaque prison a une commission de surveillance, sans pouvoir d’injonction, composée uniquement de bénévoles. Ce sont eux qui ont la responsabilité du système des plaintes. Ils n’ont donc ni les moyens ni la formation. Les différents niveaux de pouvoir en Belgique aggravent la situation.
Les différents secteurs du milieu carcéral ne sont pas dirigés par la même instance : la santé des détenus dépend par exemple du ministère de la Justice et non de celui de la Santé. Les différents niveaux de pouvoir doivent s’accorder, ce qui prend énormément de temps.
Les missions de la section belge de l’OIP sont d’informer, de sensibiliser le public et de militer contre les violations des droits humains en prison. Les informations récoltées sont utiles aux avocats pour obtenir des recours mais aussi aux ONG et au CPT. Ce dernier s’est appuyé sur nos rapports lors de sa visite. Grâce nos actions, environ 700 personnes sont sorties des établissements pénitentiaires lors de la première vague de la Covid-19. Une nouvelle phase démarre actuellement, avec trois établissements en quarantaine en Belgique. Et pourtant le taux de surpopulation repart à la hausse. C’est pourquoi nous avons lancé un appel massif à libération.

Pouvoir politique et conditions de détention. [extraits]¶

Accéder à ces informations permet de pouvoir comparer la situation des pays d’Europe. On parle d’une faillite du système pénal et pénitentiaire, sous-entendant un fonctionnement indigne d’un État de droit. Mon travail en tant que député européenne part de là: comment l’Union européenne peut-elle être un espace de protection des libertés fondamentales, de sécurité et de justice, alors que les conditions de détention sont une véritable honte, et s’il n’y a pas de respect et d’harmonisation à l’échelle européenne des droits des personnes détenues? On touche là au cœur de la coopération judiciaire européenne. Les droits fondamentaux, l’État de droit et le développement de la coopération judiciaire sont en jeu. Ces éléments questionnent la place qu’on veut donner à la justice dans nos sociétés, qui passe par la réforme des conditions de détention mais aussi des peines et des sanctions. Le traité de Lisbonne a renforcé les pouvoirs du Parlement européen en matière de coopération judiciaire. Il reste que la commission européenne partage son pouvoir d’initiative avec les États membres : le Parlement a un rôle consultatif et les mesures doivent être acceptées à l’unanimité.

La détention reste donc une compétence régalienne des États membres, qui protègent leur souveraineté et peinent à laisser l’Union européenne proposer des législations harmonisées. On constate aussi que les règles européennes ne sont pas mises en œuvre.

Les contrôles que la Commission européenne pourrait lancer ont des effets très relatifs. Il faut créer un véritable espace commun de coopération, avec pour point de départ le principe de reconnaissance mutuelle des jugements et des décisions judiciaires. Sous l’angle de la coopération judiciaire et de la protection des droits fondamentaux, nous mobilisons divers outils de plaidoyer. En tant que parlementaires, nous avons besoin de la société civile pour attirer l’attention politique. Avec une soixantaine de collègues, nous avons envoyé à la Commission un rapport sur la restriction des libertés des détenus dans le contexte de la pandémie. Il y a urgence à pousser la Commission à développer des mesures alternatives à la détention et à avancer vers des standards européens contraignants. La crise de la Covid-19 donne une visibilité sur la réalité des prisons, et nous l’utilisons pour faire pression, espérant faire avancer l’agenda et pointer l’extrême vulnérabilité du système pénitentiaire.

Comparer les prisons en Europe. [extraits]¶

À Prison Insider, nous interrogeons les conditions de détention pays par pays. Nous avons développé un questionnaire, composé de 380 indicateurs, fondé sur les standards établis par la communauté internationale, notamment les règles pénitentiaires européennes et les règles Nelson Mandela. C’est en essayant de répondre à ces questions qu’on arrive à dresser un état des lieux des conditions de détention et à mieux comprendre la réalité des prisons. Ces dernières années, nous nous sommes concentrés sur les pays membres du Conseil de l’Europe. Quelques exemples.

Parmi les questions abordées, il y celle de la formation des surveillants pénitentiaires. En Norvège, les candidats suivent des cours théoriques de psychiatrie, de psychologie durant deux ans. En France, cette formation théorique est aujourd’hui de 6 mois, et elle est de 12 semaines en Angleterre et au Pays de Galles. Le rapport du CPT parle d’ailleurs à ce sujet de la grande violence des prisons anglaises, et d’une crise profonde du système pénitentiaire.
Est-ce qu’une mère détenue peut rester auprès de son enfant durant sa détention ? Au Portugal, la mère et le père peuvent garder leur enfant avec eux jusqu’à l’âge de 3 ans. En Espagne, seule la mère peut le garder jusqu’à ses 3 ans dans une unité de vie familiale. En Norvège, les mères d’enfants en bas âge bénéficient d’une suspension de peine. Comment se passe la communication entre les détenus et le monde extérieur ? Les visites sont régies de façon très différentes, malgré les standards minimums. Au Royaume-Uni, les personnes détenues ont droit à deux visites d’une heure par mois. Au Pays de Galles, aucune disposition ne permet les visites conjugales.

Prison Insider documente ainsi les pratiques de l’enfermement et leur évolution sur une grande variété de thèmes. Et puis, derrière chaque indicateur, il y a des vrais visages, des vraies personnes. C’est pourquoi nous publions des témoignages de personnes qui vivent la détention.

Nous invitons toute personne qui travaille sur les prisons à partager son expertise et son expérience avec Prison Insider. Notre construction collective de l’information permet de comprendre et faire connaître la réalité carcérale. Dans une période de mesures de plus en plus restrictives, il y a une vraie nécessité à suivre cette évolution, à produire et à partager les informations sur la détention.