Une prison dans la ville

Une prison dans la ville a finalement été tourné à Cherbourg où la prison est également insérée dans le tissu urbain, forteresse opaque mais présente. Selon un système de surveillance gigogne, les personnes détenues sont soumises au regard du surveillant et l’établissement lui-même, à celui de la ville.

Aujourd’hui l’éloignement géographique des établissements pénitentiaires est de règle et les prisons de centre-ville font figure d’exception. Toujours en activité, la maison d’arrêt de Cherbourg en est une. Des travaux de rénovation y sont en cours actuellement.

Le film s’interroge avec les détenus sur leur perception de la ville qui les entoure et avec les habitants, sur ce qu’ils saisissent de la prison sous leurs yeux. Passant des uns aux autres, il matérialise l’espace commun aux personnes détenues et aux habitants riverains. Il incarne la porosité entre les deux mondes, s’attachant à débusquer tout ce qui leur est commun : les mouettes qui survolent sans distinction l’espace de la ville, les bruits de la circulation et les odeurs, les klaxons, les portières qui claquent, les cris des enfants dans le parc, le chant des oiseaux dans les arbres de la place. Les toits de bâtiments – visibles depuis certaines cellules – des amorces de rues, la vision des passants nous rappellent que nous sommes sur un même territoire.

Tous les jeudis, le marché fait entrer en détention ses odeurs et ses sons propres, offrant aux personnes détenues la sensation de faire partie d’un tout. La société pénètre par bribes dans la maison d’arrêt.

À l’intérieur, les deux fenêtres en angle de la salle d’activité offrent deux vues différentes sur la ville. La première donne sur un petit parc pour enfants – aujourd’hui disparu pour agrandir le parking – et sur les deux immeubles parallèles, de l’autre côté de la rue. La deuxième fenêtre donne sur les baies vitrées de la bibliothèque municipale qui réfléchissent la rue et la prison. Les vitres fumées laissent apercevoir les silhouettes qui se tiennent près d’elles dans la bibliothèque. Depuis le tournage, ces baies vitrées ont été habillées de moucharabieh extérieurs qui modifient sans aucun doute la vue depuis la salle de classe de la prison.

Dans Une prison dans la ville, les regards se croisent entre l’intérieur et l’extérieur, depuis les rares fenêtres de la détention qui donnent sur la ville et celles des appartements en vis à vis. C’est un semblant d’ouverture, une brèche dans le mur qui permet aux uns “d’envisager” les autres, au sens propre : de leur redonner un corps et un visage et d’inscrire leur parole dans l’espace publique.En ville, les personnes incarcérées conservent avec l’extérieur des relations ténues.

A Rouen, la première fois où je suis entrée en prison – à l’occasion d’un projet photographique – une des participantes m’avait raconté que depuis la cour de promenade de la prison Bonne Nouvelle, elle voyait la fenêtre de la chambre qu’elle occupait quand elle était en liberté.
Regarder dehors est pour beaucoup une composante de la vie quotidienne. Comme des sentinelles, chacun a un endroit favori qui tient à la vue ou à la posture plus ou moins confortable. La pénurie des points de vue sacralise ce qui se trouve dans cette portion de paysage disponible, seule connexion directe et physique avec le monde.

La proximité de la ville est étroitement liée à la taille des établissements. Malgré l’exiguïté des locaux et parfois leur vétusté, les établissements anciens assurent une prise en charge bien différente humainement, de celle des grands centres pénitentiaires. En témoigne cet extrait du rapport de visite du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) à la maison d’arrêt de Cherbourg en 2021 : ”Concernant le personnel, une organisation souple du travail permet que chaque surveillant exerce tous les postes, avec en résultat, une grande connaissance des détenus et une forte individualisation des prises en charge.”

L’ancienneté des murs ménage des interstices, présente des failles propices à une utilisation détournée des espaces. Les nefs ouvertes procurent aux personnels comme aux détenus, une vision globale de l’activité de la détention et les interactions entre les détenus sont partie intégrante du quotidien. L’inconfort et l’insalubrité dans les bâtiments anciens ont pour contrepartie une relative flexibilité du quotidien à laquelle sont le plus souvent attachées les personnes détenues.
La ville à portée de regard fournit aux occupants de la maison d’arrêt de maigres mais précieux repères : indices visuels, sonores ou olfactifs. Comme des miettes de la vie du dehors, la société momentanément inaccessible reste présente. Avec la fermeture de ces prisons anciennes, disparait un fragile ancrage dans la réalité pour les personnes détenues.

— Catherine Rechard.