#VotoPreso - La fête où les prisonniers ne sont pas invités

La Constitution chilienne consacre ce qu’il faut bien qualifier d’un véritable “assassinat civique” des personnes privées de liberté.

L’article 16, 2 de la Constitution dispose que le droit de vote est suspendu si une personne est inculpée d’un délit puni par une peine afflictive, ou qualifié par la loi de comportement terroriste; l’article 17, 2 dispose que les personnes condamnées à une peine afflictive perdent leur citoyenneté.

De plus, les autorités politiques et administratives du pays, par leurs pratiques contraires aux principes les plus élémentaires de l’État de droit, se sont montrées incapables de mettre en place un système électoral permettant à toutes les personnes privées de liberté sans être privées, par voie légale ou constitutionnelle, de leurs droits civiques, d’exercer leur droit de vote. Par conséquent, au Chili, une personne placée en détention provisoire est de fait empêchée de voter, bien qu’aucun texte de loi ne le lui interdise. Il en va de même pour les personnes effectuant une peine d’emprisonnement inférieure à trois ans et un jour.

Cependant, les choses semblent commencer à évoluer, avec une série d’arrêts de la Cour suprême du Chili[^1].

De manière générale, la Cour reconnaît que les prisonniers qui n’ont pas été condamnés à une peine afflictive ont bien le droit de vote, et que les empêcher de l’exercer revient à une atteinte à leurs droits fondamentaux d’égalité devant la loi et de liberté d’expression.

Compte de tenu de cette réalité, la Cour a enjoint au Servicio Electoral (Servel) et à la Gendarmerie du Chili, de prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir que, pour les échéances électorales de 2017, les personnes privées de liberté puissent exercer leur droit de vote lorsqu’elles y ont droit..

Mais, pour valables que soient les idées mises en Avant par la Cour, ni le Servicio Electoral, ni la Gendarmerie ne semblent avoir la volonté politique nécessaire pour donner effet aux demandes de la Cour. Ainsi, aucun mécanisme effectif n’a été mis en place pour permettre aux prisonni·er·ères de voter lors des dernières primaires en vue de la présidentielle,

Avant les primaires, dans le but de découvrir les moyens que le Servel et la Gendarmerie affirmaient vouloir mettre en place pour satisfaire aux exigences de la Cour, nous avons, en tant qu’ONG et dans le cadre de la loi sur la transparence, demandé des informations à ces deux institutions. Au Servel, Nous avons demandé des informations relatives aux moyens qu’il envisageait de mettre en place, conjointement avec la Gendarmerie, pour que les personnes privées de liberté puissent voter aux élections primaires.

Le Servel nous a expliqué avoir demandé à la Gendarmerie si les personnes “bénéficiaires” des arrêts de la Cour étaient toujours incarcérées et, si c’était le cas, quels étaient les moyens envisagés par l’administration pénitentiaire pour les conduire aux bureaux de vote. Nous avons demandé la même chose à la Gendarmerie … laquelle nous a indiqué qu’il était du ressort du Servel de fournir ces informations.

Il convient de préciser également que le Servel a répondu par la négative à une demande d’entretien de notre part, s’appuyant sur la loi sur le lobbying, pour aborder le même sujet, arguant qu’en l’espèce, celle-ci n’était pas applicable. De fait, à ce jour, les deux institutions ont ignoré la teneur des arrêts de la Cour. En se renvoyant la balle de la façon la plus ridicule qui soit, elles ont toutes deux fait abstraction des obligations rappelées par la Cour Suprême. Il reste à attendre de voir ce qui arrivera lors des prochaines élections législatives et présidentielles.

[^1]: Cf. (en espagnol) : Corte Suprema, Rol 87876-2016; Corte Suprema, Rol 92816-2016; Corte Suprema, Rol 41-2017; Corte Suprema, Rol 87743-2016; Corte Suprema, Rol 87748-2016; Corte Suprema, Rol 82452-2016; Corte Suprema, Rol 92795-2016; Corte Suprema, Rol 4764-2017; Corte Suprema, Rol 223-2017.