— “Je ne peux pas me fier au devenir vu qu’aucun futur n’est prévu pour moi, je ne peux pas avoir un passé, car ce passé-là est à oublier. M’est offert un présent flou, avec lequel il m’est difficile d’interagiret sur lequel je n’ai pas la moindre capacité de décision, parce qu’aussi, l’espace temporel dans lequel je vis se définit comme “une invisible tonalité du rien” et ce n’est absolument pas un euphémisme.”¶
Ciao chère Laurence,
J’ai reçu ton aimable lettre ces jours alors que j’étais cloué au lit par une forte fièvre. Il ne s’agit pas d’une maladie liée à une quelconque pathologie, je crois plutôt qu’il s’agit d’une “fièvre de prison” …
Quand on dit que la peine rend malade ! Non, je ne plaisante pas et il ne s’agit pas d’un excès de réflexion. D’autre cerveaux illustres ont expliqué que la peine de prison de longue durée peut se présenter comme sanction, une “réponse médicinale” à la boucherie des supplices, comme une “peine chirurgicale”.
Parce que amputée. Amputée de bouts de vie. Amputée de la santé, de la personnalité, des fonctions physiologiques essentielles au développement d’une personne. Les personnes qui sont contraintes à cette souffrance de détention longue voient toujours leur qualité de vie réduite.
Mais revenons à ta lettre… Oui ta belle et aimable lettre.
Ce n’est pas important que tu sois habituée à écrire des mail, prise dans la frénésie des temps actuels, où tout est dit et fait rapidement où Whatsapp, Mail, Facebook et Twitter deviennent les patrons, ce qui est pour moi essentiel, fondamental, est que tu peux m’écrire, de manière télégraphique si tu veux. Ce qui importe n’est pas la forme mais le fond. Il ne s’agit pas de la quantité des paroles écrites, mais de la qualité de celles-ci, car parfois, un seul mot peut avoir la puissance nécessaire à broyer la pierre granitique.
Chacun de nous, toi, moi, les personnes qui nous entourent, ont besoin de paroles qui font du bien au cœur, qui atténuent les fatigues et les inconforts, qui susurrent des fragments de vie à l’âme.
Dans le ciment de l’immobilité, tu as tendu la main, a lancé quelques flèches salvatrices, des paroles dans lesquelles se fondent les doutes et la tristesse, des paroles qui dessinent sur les murs incolores de petits arc-en-ciel jetés d’une rive à l’autre des deux mondes : toi dans le monde libre, moi dans celui reclus derrières des enceintes.
Parfois, la vie nous dissout dans les méandres du vide. Mais la puissance de notre âme doit toujours rester immuable. Je le sais, il n’est pas toujours suffisant de transformer nos désirs et nos intentions en réalité … Je suis le premier à entrevoir les discordances qui peuvent exister entre la pensée et le faire. Des espaces difficilement “colmatables”.
Sache que la réalité de chacun de nos jours prend la forme et la signification que nous voulons bien lui attribuer. Seule la force de notre pensée peut transformer le fer en or.
Je me rends compte que nous sommes juste des humains, fragiles, que la vie prend souvent des chemins non désirés, comme si quelqu’un tirait les ficelles à notre place. Nous devenons les marionnettes aux mains et pieds liés à un spectacle que nous n’avons pas choisi.
Dès lors l’alternative qui nous reste … Nous recroqueviller sur scène, devenir une sorte d’enchevêtrement informe de fils et de petits bouts de bois, ou nous adapter au mouvement imprimé par le marionnettiste, et faire de chaque déchirure un pas de danse en avant.
Comme tu le vois, je me donne du courage tout seul, comme un homme stupide conscient qui ne voit rien s’élever vers le ciel, tant d’efforts sans résultats tangibles. Peut-être, comme je le disais plus haut, est-ce à nous de donner une signification à notre quotidien.
Enfin, écrire un journal quotidien, et le seul fait de savoir que chaque jour tu dois écrire ton vécu, pourrait parfois pousser l’auteur à édulcorer, à manipuler la réalité. Ainsi, j’estime que notre correspondance est beaucoup plus qu’un journal parce que les écrits viennent en ligne directe du cœur. Ils ont le pouvoir d’emmener les lecteurs jusque dans ma cellule. Tout simplement. Nos lettres sont un journal de vie, dans lequel les âmes les plus lumineuses se rencontrent toujours.
Bon, j’arrête là mes réflexions matinales, sinon, je ne m’arrêterai jamais… Donc je conclus en attendant de te lire.
Bises.
Marcello
— Publié le 11 octobre 2017.¶