La prison de Simmering, où Martin Gruber est incarcéré, est considérée comme une sorte d’“université d’élite” au sein du système pénitentiaire autrichien. De nombreux anciens hommes politiques autrichiens y ont purgé leur peine. Le “prestige” de cet établissement n’est pas dû à ses murs d’un blanc étincelant, ni à son histoire (anciennement un pavillon de chasse et la résidence d’empereurs autrichiens). De nombreux prisonniers souhaitent être incarcérés à Simmering en raison des nombreux privilèges accordés par l’établissement. Un peu plus de 10 % de sa population carcérale est en semi-liberté, l’une des formes d’incarcération les plus souples en Autriche. Les chances d’en bénéficier dépendent de la capacité de chaque établissement (effectifs du personnel, nombre de salles et/ou de programmes de formation), ce qui explique que les places en semi-liberté restent vacantes dans certaines prisons autrichiennes. La semi-liberté n’implique pas seulement de pouvoir quitter la prison pour aller travailler en semaine et de passer les week-ends chez soi ; elle implique également l’absence de barreaux aux fenêtres, des cellules ouvertes, l’accès aux douches à tout moment, des cellules à une ou deux chambres et une cuisine commune. “Notre quartier ressemble à un espace de vie partagé”, explique Martin Gruber. Lors du premier confinement lié à la COVID-19, tout a changé. Les droits de visite et le courrier ont été interdits, les quartiers fermés, les détenus en semi-liberté n’ont été autorisés à quitter la prison que pour le travail.
Martin Gruber répond à la plupart de mes questions de manière rapide et précise, avec parfois une pointe d’ironie dans la voix. Mais lorsqu’il parle de ses week-ends libres, l’émotion prend le dessus. Après une pandémie de près de deux ans, il a perdu près de 144 jours de liberté. Ces week-ends libres sont importants pour lui.
Après le décès de sa femme en 2018, il s’est rendu plusieurs fois dans l’appartement qu’ils partageaient auparavant avant de décider de le vendre. “C’était trop douloureux, il représentait trop de souvenirs partagés”, raconte-t-il. Il sera libéré dans quelques mois et a donc pris des dispositions pour trouver un nouvel appartement, mais celui-ci est en mauvais état. Il avait prévu de profiter de ses week-ends de liberté pour le rénover, mais il va à présent sortir de prison et commencer sa nouvelle vie dehors sans eau ni électricité.
Les jours de semi-liberté qu’il a perdus ne seront pas déduits de la peine de Martin Gruber, ce qu’il déplore. Dans plus de 100 autres pays, dont des États comme l’Iran, la Turquie ou les États-Unis, les autorités judiciaires et les politiciens ont eu une réaction plus radicale à la pandémie : 600 000 détenus dans le monde, en particulier ceux dont l’état de santé était critique, les personnes âgées et les détenus en fin de peine, ont été libérés entre juillet 2020 et février 2021. L’âge, le temps de peine, la santé : Martin Gruber répond à tous ces critères. Âgé de plus de 50 ans, il a souffert d’asthme bronchique et a été soigné à la cortisone.
En dépit des restrictions mises en place, le virus n’a finalement pas épargné la prison de Simmering. Au printemps 2021, un foyer s’est déclaré dans l’établissement. Des quartiers ont été condamnés, des détenus ont été envoyés dans des quartiers fermés et les surveillants ont distribué des puzzles pour divertir les personnes enfermées dans leurs cellules.