Bahreïn: la mort de la dissidence politique

Jawad Fairouz. Depuis 2011, la justice de Bahreïn a prononcé des dizaines de condamnations à mort à la suite de la crise politique survenue dans le sillage du Printemps arabe.

Les autorités agissent avec une brutalité extrême pour réprimer le mouvement démocratique initié à Bahreïn en février 2011. De nombreuses exactions graves ont été commises, parmi lesquelles des exécutions extrajudiciaires, la condamnation à la perpétuité de militants et de leaders de l’opposition, le recours systématique à la torture et aux agressions sexuelles, la déchéance de nationalité, la déportation de citoyens, la privation des droits politiques et l’utilisation de la peine de mort.

En octobre 2021, 27 personnes, dont 12 prisonniers politiques, avaient épuisé toutes les voies de recours. Si le gouvernement de Bahreïn ne communique pas publiquement les noms des personnes qui se trouvent dans le couloir de la mort, les 12 personnes dont les noms suivent ont vu leur condamnation à mort confirmées par la Cour de cassation, la plus haute instance du pays. Une fois que la Cour confirme une condamnation à mort, il n’est plus possible de faire appel et il ne reste plus qu’à attendre la dernière étape du processus judiciaire : la ratification, par le roi, de la condamnation.

La justice n’a aucune indépendance et les jeux d’influence politique permettent de faire de la peine de mort un outil de terreur face aux membres de l’opposition et d’annihiler la dissidence. De nombreuses condamnations sont fondées sur des aveux extorqués sous la torture. C’est notamment le ca de Hussein Ali Moussa et de Mohamed Ramadhan.

Le 15 janvier 2017, Ali Al-Singace, Abbas Al-Samea et Sami Mushaima sont exécutés. Les experts des droits de l’homme des Nations unies se sont inquiétés des témoignages faisant état de l’obtention de leurs aveux sous la torture par électrocution et humiliations sexuelles.Les aveux ont ensuite justifié leur condamnation et exécution. Les tribunaux ont rejeté les arguments de leurs avocats et refusé d’enquêter sur ces allégations de torture. Leur exécution a eu lieu moins d’une semaine après la confirmation en dernier recours de leur condamnation, sans que ni eux, ni leur famille n’en soient préalablement avertis. Le Rapporteur spécial des Nations Unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires estime que ces exécutions sont extrajudiciaires, étant donné l’illégalité des moyens par lesquels les informations ont été obtenues.

Le 26 juillet 2019, Ali Al-Arab, Ahmed Al-Malali et un citoyen bangladais dont l’identité demeure inconnue sont exécutés. Ils n’ont pas eu droit à un procès équitable, en dépit des appels des experts des droits de l’homme des Nations unies à suspendre leur exécution en raison de soupçons d’obtention des aveux sous la torture. Le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme a condamné sans réserve ces exécutions, et a répété qu’il soupçonnait qu’ils aient été contraints sous la torture d’avouer des crimes qu’ils n’avaient pas commis. Devant ces faits, l’explication la plus raisonnable est l’utilisation par le Bahreïn de la peine de mort comme un outil politique pour anéantir toute opinion dissidente dans le pays.

JF. Les conditions de détention des condamnés à mort à Bahreïn empirent toujours davantage. Entièrement isolés des autres prisonniers à la prison de Jaww, ils subissent des traitements violents et dégradants. Les conditions de détention des prisonniers du couloir de la mort sont encore pires que celles des autres prisonniers, déjà précaires. Les prisons de Bahreïn ne satisfont pas aux règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus.

Les conditions de détention dégradées dans les prisons sont, de manière générale, marquées par :

• d’évidentes lacunes en termes d’entretien des locaux et une hygiène insuffisante.

• la violation de l’intimité des personnes détenues.

• un accès insuffisant à l’éducation : bien que les autorités pénitentiaires permettent aux prisonniers, dans certains cas, de poursuivre leurs études, aucune politique ni cadre procédural n’est prévu pour qu’ils puissent effectivement le faire. De nombreux prisonniers se plaignent des atermoiements de l’administration pénitentiaire et du manque d’accès à l’éducation pour l’ensemble des prisonniers ; les procédures sont, en outre, longues.

• la surpopulation : les prisons de Bahreïn sont parmi les plus surpeuplées des pays arabes.

• le refus de l’accès aux soins médicaux : malgré le nombre élevé de personnes détenues, en particulier à la prison de Jaww, les médecins sont en nombre réduit, parfois totalement absents. Certains témoignages rapportent que, soumis à une telle pression, les médecins ne sont pas à même de procéder à des examens médicaux dans tous les cas et se contentent de donner des antalgiques aux malades. Ils retardent les transferts vers des établissements de soins à l’extérieur ; d’autres malades ne peuvent être transférés faute d’être emmenés par l’administration pénitentiaire aux rendez-vous médicaux convenus avec les établissements de soins après que le transfert a été effectué par un médecin de la prison.

Des sources fiables attestent que les autorités utilisent le refus de l’accès aux soins médicaux comme méthode de torture, ce qui explique le piètre état sanitaire des établissements pénitentiaires.

Depuis des années, le Bahreïn refuse toute visite de rapporteurs spéciaux ou d’experts des droits humains au sein des établissements pénitentiaires, et leur refuse également toute possibilité d’examiner les conditions de détention.

JF. Le gouvernement affirme toujours que la peine de mort est prononcée conformément au droit international, comprenant les garanties des Nations unies. De plus en plus, les autorités du Bahreïn prononcent des condamnations à mort pour des crimes autres que le meurtre, en violation directe du droit international.

Dans les faits, cette interprétation de la peine de mort ne semble pas cibler particulièrement les personnes accusées de crimes autres que le meurtre, mais pour aggraver les charges pesant sur des personnes accusées pour des motifs politiques. L’État continue à s’appuyer sur des aveux obtenus sous la torture et la menace, et utilise toujours la peine de mort pour faire taire à jamais les prisonniers politiques. Les instances judiciaires et législatives ne sont ni indépendantes, ni placées face à leurs responsabilités : elles ont démontré leur inefficacité, et leur rôle va peut-être même jusqu’à la complicité.

En de multiples occasions, le Groupe de travail sur la détention arbitraire des Nations unies a estimé qu’il était absolument plausible que les prisonniers du couloir de la mort aient été illégalement arrêtés et détenus, et soumis à la torture pour se voir ensuite jugés sur le fondement d’aveux faits sous la torture.

SALAM DHR et d’autres ONG de Bahreïn appellent la communauté internationale à en tenir pour responsable le gouvernement de Bahreïn, et de le pousser à prononcer un moratoire sur les exécutions capitales. Ils appelent également le gouvernement de Bahreïn à s’acquitter de ses obligations internationales.

Salam DHR a initié, conjointement à la Coalition mondiale contre la peine de mort et à certains membres de cette colaition, une campagne contre la peine de mort. En octobre, Salam DHR et les organisations partenaires ont appelé le roi de Bahreïn à :

• Commuer sans délai, en tant que geste d’ouverture, l’ensemble des condamnations à mort confirmées par la Cour de cassation. Elles sont, fin 2020, au nombre de 27.

• Mettre fin à l’opposition du Bahreïn à la résolution biennale appelant à un moratoire sur les exécutions en vue d’abolir totalement la peine de mort, en lui donnant un vote favorable ou, au moins, en s’abstenant pour le vote de 2022.

• Prononcer un moratoire sur les exécutions capitales à Bahreïn.