Le Chili est un État unitaire décentralisé. L’institution responsable du système pénitentiaire est la Gendarmerie (Gendarmería de Chile, GENCHI). Fondée en 1911, elle est sous la responsabilité du ministère de la Justice. Elle prend en charge la gestion des établissements pénitentiaires du pays (76 établissements publics et 8 établissements privés). Elle a pour objectif de contribuer à la réinsertion des personnes condamnées. Plus d’un tiers de la population carcérale est constituée de prévenus et de personnes en attente d’un jugement (34,7 %). Le pays présente, en proportion, la seconde population carcérale féminine la plus élevée de la région (7 % de l’effectif total). Des organismes de défense des droits humains rapportent des conditions de vie mauvaises et des dysfonctionnements systématiques de l’accès des prisonniers à la santé. La Gendarmerie est chargée, par l’intermédiaire de son Département de la santé (Departamento de Salud), de faciliter l’accès à la santé des détenus. Ce dernier gère et coordonne les ressources destinées à garantir la santé des prisonniers et du personnel pénitentiaire. Il est en charge des unités de soins et hôpitaux pénitentiaires. Il fait transférer, si nécessaire, les prisonniers malades vers des établissements de soins publics. Il assure le recrutement des personnels de santé intervenant dans les établissements. Les dotations en personnel de santé pénitentiaire sont, selon des témoins, faibles. Les médecins spécialistes sont rares. La qualité des soins est faible.

Le système de santé carcéral dépend de la Gendarmerie et de son département de la santé. Celui-ci n’est pas formellement lié au système de santé publique. La coopération permet tout de même aux prisonniers d’accéder au système de santé publique quand le système de santé carcéral est débordé.
Une procédure spécifique aux établissements pénitentiaires est mise au point suite à l’identification du premier cas de Covid-19 dans le pays. La Gendarmerie présente, le 23 mars 2020, un plan d’action intégral de lutte contre la Covid-19 (Plan de Acción integral por contingencia Covid-19). Ce plan définit des directives propres à améliorer la sécurité opérationnelle du service, l’accès à la santé, l’approvisionnement des établissements et la logistique. Ils organisent la coopération entre institutions et l’accès à l’information, et se concentrent particulièrement sur la protection des agents et des personnes privées de liberté.

Les ministres de la Santé et de la Justice visitent, début mars 2020, plusieurs établissements. Ils y communiquent des informations sur les mesures de prévention. Une campagne de vaccination des prisonniers et du personnel pénitentiaire contre la grippe H1N1 est lancée afin de réduire le risque de comorbidité.

L’administration pénitentiaire décide, la même semaine, de restreindre les visites. Le nombre de jours de visite et le nombre de personnes autorisées à entrer sont réduits. Les femmes enceintes et les personnes âgées ne peuvent plus rendre visite aux prisonniers. Toutes les visites sont, alors que le virus se répand rapidement au sein des établissements pénitentiaires, suspendues. Les établissements commencent à désinfecter systématiquement les locaux et les véhicules utilisés pour les transferts avant et après usage.
L’administration pénitentiaire crée, au sein des établissements, des espèces destinées à accueillir les personnes éventuellement infectées et les cas contacts. La justice impose, dans tous les établissements, une quarantaine préventive de 14 jours pour les prisonniers arrivant de l’étranger ou d’un autre établissement. Deux mille six cent soixante sept places sont, selon le rapport de la Cour suprême, réservées à cet usage à travers le pays. Un plan d’urgence est préparé, dans l’éventualité où toutes ces places seraient occupées et le personnel spécialisé débordé. Les dépendances du complexe pénitentiaire de Concepción seraient aménagées et utilisées comme site d’isolement sanitaire pour 1600 personnes. Ce plan prévoit également le transfert de prisonniers d’autres régions, l’isolement des agents, et la création d’une zone médicale entièrement équipée, comprenant une chaîne logistique alimentaire centrale et des personnels de manutention.

L’administration pénitentiaire communique quotidiennement le nombre de contaminations, comprenant prisonniers et personnels, et le nombre de personnes vaccinées contre la grippe. À la rédaction du présent rapport, les chiffres les plus récents montrent que 2 156 prisonniers et 1 763 membres du personnel ont été contaminés. Dix-huit prisonniers et 2 membres du personnel sont décédés des suites de la Covid-19.
La première contamination confirmée est, le 23 mars 2020, celle d’un membre du personnel pénitentiaire. Un prisonnier de la prison de Puente Alto, à Santiago, est contaminé le 29 mars. La contagion s’étend rapidement. Soixante-huit prisonniers et 81 membres du personnel ont été, en avril, testés positifs. Le premier décès lié à la Covid-19 en prison est annoncé en juin 2020. Il s’agit d’un prisonnier de 75 ans, incarcéré depuis 2013 dans l’établissement le plus grand et le plus surpeuplé du pays, le complexe pénitentiaire de Santiago Sud.
On relève plusieurs autres foyers au sein d’établissements pénitentiaires. La flambée des cas au sein de la prison de Puente Alto est suivie de l’apparition de foyers dans la prison de Valdivia, la prison de Chillán et le [centre pénitentiaire de formation et de travail de Valparaíso. La contamination de Valdivia est, selon plusieurs organisations de défense des droits humains, la conséquence d’un transfert de prisonniers depuis Santiago. Ceux-ci n’auraient pas été testés.

La surpopulation moyenne du pays n’est pas très élevée. Certains établissements sont cependant extrêmement surpeuplés, et présentent des conditions sanitaires peu satisfaisantes. Le ministère de la Justice et le Défenseur public aux affaires pénales (Defensoría Penal Pública, DPP) prennent, pour réduire la population carcérale et empêcher l’aggravation des problèmes de santé dans des cellules bondées, des mesures visant à limiter l’incarcération de nouveaux prisonniers et à encourager les libérations anticipées.
Le ministère de la Justice présente, le 25 mars 2020, un projet de loi devant le Congrès. Ce projet de loi prévoit la grâce de détenus identifiés comme appartenant à des catégories à haut risque (notamment personnes âgées, femmes enceintes, enfant et adolescents, personnes atteintes de maladies chroniques). Le projet de loi est approuvé, après avoir été amendé, le 16 avril. Il permet aux prisonniers âgés de 75 ans ou plus, aux hommes de 60 à 75 ans, aux femmes de 55 à 75 ans, aux femmes enceintes, aux mères incarcérées avec leur enfant de moins de deux ans et aux prisonniers placés en régime semi-ouvert de voir leur peine privative de liberté commuée en détention à domicile. Il permet également la modification temporaire des peines privatives de liberté pour les personnes condamnées bénéficiant d’une permission de sortir sous contrôle point. Sont exclues de ces mesures les personnes condamnées pour crimes graves : violence domestique, torture, viol, parricide, féminicide, homicide, crime en lien avec un génocide, crime contre l’humanité, crime de guerre. Cette mesure permet la libération de 1 610 personnes.¹ Le défenseur public aux affaires pénales (DPP) encourage des “recours massifs visant ta mettre en place des solutions alternatives à la détention provisoire des prévenus appartenant à un groupe à risque”². La DPP appelle, entre avril et mai 2020, tous ses juristes à faire tout leur possible pour obtenir autant que possible la révocation de mesures provisoires de privation de liberté. Cette démarche a plusieurs résultats :

• En avril 2020, la commission des libérations conditionnelles a accordé, sur les 3 250 prisonniers présentés par la DPP, 1 560 mises en liberté, soit un taux de réussite de 48 % en première instance. Quatre vingt dix sept requêtes d’amparo sont, par la suite, acceptées, portant le nombre de mises en liberté à 1 657.
• Des recours ont été introduits, en mai 2020, pour 8 199 personnes. Les mesures de détention provisoire sont levées pour 2489 d’entre elles. Les données de la gendarmerie indiquent que la mise en œuvre de l’ensemble de ces mesures a réduit de 9 % la population carcérale.

Les activités impliquant la sortie de prisonniers ou l’entrée d’intervenants extérieurs sont, pour la plupart, reportées, limitées, ou annulées. Les programmes de réinsertion se poursuivent, réduits, et les séances en groupe sont suspendues. Les programmes d’aide à la désintoxication se poursuivent durant la crise. Les formations scolaires sur place sont suspendues. Des cours en ligne et des guides sont mis à disposition des prisonniers.[^cla] Différentes activités professionnelles sont suspendues. Les prisonniers fabriquent, dans les ateliers, plus de 2 000 masques. [^cla]: Informations fournies par le Conseil de la société civile (Consejo de la Sociedad Civil) de la Gendarmerie.

Toutes les visites sont, à partir de mars 2020, suspendues. Cette suspension fait suite, pour l’essentiel, aux demandes de prisonniers pour leur propre protection et celle de leurs familles. Des visites virtuelles sont mises en place à l’aide des nouvelles technologies pour maintenir le lien entre prisonniers et proches et avec les tribunaux. La Gendarmerie et le ministère de la Justice et des Droits humains suspendent toutes les sanctions liées à l’utilisation de téléphones portables en prison. L’accès au téléphone portable est autorisé en tant que mesure contrôlée et exceptionnelle. L’équipement est fourni par les familles ou le ministère de la Justice grâce à un “appel humanitaire” au don de cartes SIM. On compte, en juillet 2020, 2 120 téléphones portables autorisés, 249 ordinateurs, 470 téléphones publics et 256 téléphones portables supplémentaires fournis par le gouvernement.¹ Un téléphone est autorisé par prisonnier. Son usage est limité à des heures précises, et il doit être utilisé exclusivement pour maintenir le lien avec des proches déclarés auprès de l’administration et des avocats. Ces téléphones portables sont contrôlés par l’administration et vérifiés au moyen d’un protocole d’utilisation.
Plusieurs prisonniers demandent, au vu de la durée de la suspension des visites et de la flexibilité croissante des mesures sanitaires, la reprise des visites au sein des établissements. Un protocole de visite très strict est mis au point, en décembre 2020, par l’administration pénitentiaire. Certains établissements commencent à le mettre en œuvre.

Plusieurs mutineries et actes de protestation sont reportés dans les prisons chiliennes. La première mutinerie d’importance a lieu à la prison de Puente Alto (Santiago). La première flambée de l’épidémie a été observée dans cet établissement. Il compte 80 % des prisonniers contaminés. Quatre cents prisonniers du quartier Torre 1, incarcérés pour infractions complexes, se mutinent. Ils mettent le feu à leurs matelas. Ils dénoncent la gestion de la pandémie par les autorités, le manque de tests et la limitation de leur accès aux mesures de libération dans la mesure où, en tant que prisonniers à haut risque, ils sont éligibles à la grâce gouvernementale. La Gendarmerie et les pompiers interviennent. Aucun blessé n’est relevé. Deux autres mutineries ont lieu à la prison Colina I (Santiago). L’une d’entre elles commence, selon les autorités pénitentiaires, après une fouille initiée suite à une rixe entre détenus dans le quartier Torre 4A. Quatre cents détenus sont impliqués. On dénombre 36 prisonniers 12 agents blessés, dont un grièvement. La deuxième émeute engendre de graves dommages. Trente huit prisonniers et 32 agents sont blessés. La Gendarmerie transfère, suite à ces événements, 126 prisonniers vers d’autres établissements et d’autres régions. Les détenus de la prison de Santiago 1 protestent contre les mauvaises conditions d’hygiène. Certains tentent, avec l’aide de leurs familles et de proches à l’extérieur, de s’évader. Leurs tentatives se soldent par un échec. La mutinerie fait 25 blessés parmi les prisonniers et 12 parmi le personnel. D’autres émeutes et tentatives d’évasion sont rapportées au sein d’établissements privés, notamment à Rancagua et Valdivia. Les agents de la Gendarmerie organisent, à Calama, un mouvement de protestation. Ils demandent davantage de mesures de prévention pour éviter de nouvelles contaminations en prison.
Des prisonniers diffusent des images et des vidéos de protestation. Ils demandent l’amélioration des conditions de détention, le droit à l’amnistie prévue par la loi, la possibilité d’être entendus préalablement aux décisions de suspension ou de reprise des visites et relatives à la gestion de l’épidémie. Ils rappellent à plusieurs reprises que leurs vies et leurs droits ont la même importance que ceux de tout autre être humain.

Différentes organisations nationales et internationales expriment leur inquiétude quant à l’état des établissements pénitentiaires du pays. Elles considèrent les prisonniers comme un groupe particulièrement vulnérable en raison de la nature des restrictions, de la surpopulation et des mauvaises conditions sanitaires.
Le procureur de la Cour suprême recommande de réduire la population carcérale. Il encourage à l’utilisation de plans de mise en liberté anticipée ou provisoire pour les prisonniers considérés comme “sûrs”, en prenant en compte les règles de Tokyo pour l’élaboration de mesures non privatives de liberté. Son rapport sur l’action de la Gendarmerie conclut qu’elle s’est montrée incapable, en raison de la précarité structurelle du système pénitentiaire, d’empêcher la survenue d’une crise au sein des établissements. Les mesures n’ont pas été, en dépit d’initiatives positives, uniformément mises en œuvre.

Des organisations de défense des droits humains surveillent et soutiennent le droit à la santé des prisonniers. On compte notamment parmi elles l’Institut national des droits humains et l’Ordre des médecins du Chili (COLMED Chile). Elles visitent les établissements pénitentiaires et émettent des recommandations à destination des autorités pénitentiaires.

Le rapport de visite de la prison de Puente Alto, en avril 2020, établit clairement le besoin urgent d’améliorer l’infrastructure, la coopération entre les établissements pénitentiaires et les autorités locales, l’organisation et la mise en œuvre de mesures sanitaires à la livraison des colis, et l’accès des familles aux établissements pénitentiaires pour éviter la propagation de la Covid-19.

Il évoque également le besoin urgent de fourniture et de formation des personnels pénitentiaires et de santé à l’usage des EPI, et la nécessité de les rendre obligatoires. Si la Gendarmerie prend note de nombre de ces recommandations, beaucoup reste à faire.