Derrière les barreaux : un sort incertain

CH. Les personnes en détention provisoire peuvent se trouver à différents stades de la procédure judiciaire, comme l’indique notre rapport :
(1) l’étape préalable à la comparution, lorsque des enquêtes sont en cours dans l’attente d’une audience est attendue au tribunal ;
(2) l’étape de la comparution, lorsque le processus est en cours pour déterminer la culpabilité et/ou la peine ;
(3) l’étape de l’inculpation sans condamnation, la personne est reconnue coupable mais n’a pas encore été condamnée ;
(4) l’étape de l’attente du jugement définitif, lorsqu’une peine provisoire est prononcée mais qu’elle est susceptible de recours¹.

Le but de la détention provisoire — en principe — est de s’assurer que la personne n’échappe pas à la justice, n’interfère pas avec les témoins ou les preuves, et ne commette pas d’infraction. Elle doit être exceptionnelle et n’être utilisée qu’en dernier recours, car d’autres mesures permettent généralement d’atteindre les mêmes objectifs. Toutefois, nos recherches montrent que la décision de placer une personne en détention provisoire est souvent fondée sur une hypothèse générale plutôt que sur une approche au cas-par-cas prenant en compte les risques réels. Et dans les cas où l’on doit y avoir recours, la durée de la détention provisoire est censée être limitée au minimum requis pour atteindre l’objectif nécessaire, bien que les recherches montrent que sa durée moyenne varie considérablement.

La durée moyenne est de 167 jours aux États-Unis. Au Brésil, elle varie d’un État à l’autre : la moyenne nationale est de 368 jours, mais elle atteint 900 jours dans certains États. Dans certains pays, les prisonniers passent souvent plus de temps en détention avant le procès qu’après avoir été condamnés pour le crime dont ils sont accusés.

Les conséquences d’un recours abusif à la détention provisoire sont graves. Même pour de courtes périodes de détention, les liens familiaux, le droit à la vie privée, l’accès à l’argent et au travail peuvent être bouleversés, ce qui a des conséquences durables. Cela peut avoir des effets à long terme et bouleverserla vie des individus. Nous savons que les conditions de la détention provisoire sont souvent pires que celles que connaissent les détenus condamnés : dans une grande partie du monde, ils vivent dans des prisons insalubres et surpeuplées où la violence règne. Ils n’ont généralement pas accès à l’éducation, aux programmes de réinsertion ou au travail. Leur incarcération affecte également leur droit à un procès équitable : il est plus difficile de préparer sa défense, de consulter des avocats et de préparer les audiences en détention. Les personnes en détention provisoire sont davantage soumises à la pression pour passer aux aveux ou accepter des arrangements. Notre étude montre également que dans certains pays, les juges sont plus susceptibles de prononcer une peine privative de liberté à l’encontre d’une personne placée en détention provisoire durant son procès qu’à l’encontre d’une personne libérée sous caution.

CH. Le nombre de prévenus en détention augmente dans le monde entier. Aux États-Unis, on compte près d’un demi-million de prisonniers en détention provisoire. En Inde, on en compte plus de 300 000. Au Brésil, plus de 250 000. Il existe également des exemples frappants de pays qui comptent une forte proportion de détenus provisoires parmi leur population carcérale : en Libye, les détenus provisoires représentent 90 % de la population carcérale totale ; au Bangladesh, ils en représentent 80 % et au Paraguay, plus de 70 %.

Depuis 2000, le nombre total de personnes en détention provisoire a augmenté de 30 %. C’est 5 % de plus que l’augmentation de la population carcérale totale dans le monde.

Par région, les signes de croissance sont encore plus frappants : en Asie, la hausse est de 72 %, principalement sous l’impulsion du Cambodge, de l’Indonésie et des Philippines. Dans les Amériques, la population totale en détention provisoire a augmenté de 60 %. Depuis 2000, les chiffres ont plus que doublé au Brésil, au Paraguay, au Salvador et au Venezuela. En Europe, en revanche, nous avons constaté une baisse significative des chiffres de la détention provisoire. Cette baisse est principalement due à la diminution du nombre de détenus en Russie. Le total a augmenté de façon spectaculaire en Océanie, plus que sur tout autre continent, de 200 % au total.

Ces chiffres contrastent avec la baisse notable du niveau de criminalité dans de nombreux pays, ainsi qu’avec les mesures alternatives de plus en plus accessibles, comme la surveillance électronique, qui devraient réduire la nécessité pour les juges de recourir à la détention provisoire.

Alors qu’elle devrait assurer la sécurité des personnes et réduire la criminalité, la détention provisoire a souvent des effets contraires non désirés.

Pour certains, la détention provisoire peut avoir un effet criminogène, pour plusieurs raisons : elle entraîne la perte de l’impact bénéfique des facteurs qui favorisent la désistance (relations familiales, travail et domicile) ; un risque accru de rencontres susceptibles de déboucher sur une future activité criminelle ; ou l’obligation de s’endetter en raison de la consommation de drogue ou pour emprunter de l’argent à d’autres détenus pour payer des produits de première nécessité, comme le crédit téléphonique ou les médicaments. Ces facteurs peuvent augmenter le risque de récidive, rendant la détention provisoire largement contre-productive.

CH. Si un établissement a déjà du mal à gérer un nombre élevé de prisonniers, la surutilisation de la détention provisoire exerce une pression supplémentaire sur le personnel, l’espace carcéral et les ressources disponibles. La surpopulation affecte les systèmes pénitentiaires dans environ 60 % des pays du monde. Il est donc plus difficile d’assurer la sécurité et la prise en charge des détenus condamnés. La réinsertion est plus difficile dans un tel contexte.

La lutte contre le recours excessif à la détention provisoire est devenue d’autant plus cruciale que le Covid 19 est maintenant une réalité dans les prisons du monde entier. Comme nous l’avons vu en Amérique, les populations carcérales sont en étroite interaction avec les populations extérieures. Cela signifie que lorsqu’une maladie contagieuse se propage, comme c’est le cas avec la pandémie actuelle, elle se répand très rapidement jusqu’en prison. Un grand nombre d’individus venus de l’extérieur, y compris les familles du personnel et des détenus, sont alors touchés. Les détenus condamnés et en attente de jugement sont confrontés à des risques accrus de contamination lorsque les prisons sont surpeuplées. Cela implique également des risques supplémentaires pour le personnel qui travaille dans les prisons et leurs familles. Cela a déjà été observé avec de nombreuses autres maladies infectieuses : les maladies ne s’arrêtent pas aux murs des prisons, pas plus que leurs conséquences.

L’utilisation abusive de la détention provisoire a d’autres conséquences que la détérioration des conditions de détention : elle impose des charges supplémentaires aux membres de la famille et affaiblit la confiance des citoyens dans l’équité des systèmes de justice pénale.

Pour réduire le nombre de personnes en détention, il faut commencer par limiter le nombre d’arrestations. Il existe aussi des approches alternatives, en dehors des systèmes judiciaires. Par exemple, les conflits avec la loi sont souvent motivés par des besoins non satisfaits en termes de santé psychique, la pauvreté et la toxicomanie. Au lieu de maintenir l’ordre par des sanctions, des interventions sociales, collectives et sanitaires dans ces domaines peuvent réduire radicalement le nombre de personnes qui en passent par la justice.
Enfin, dans les cas où un contrôle est nécessaire pour s’assurer qu’un suspect ou un défendeur assiste aux audiences, des mesures alternatives à la détention devraient être mises en place. Si une caution financière est fixée, elle doit être rendue abordable, sans quoi la grande majorité des personnes concernées n’en bénéficieront pas. D’autres mesures comme la détention à domicile, l’assignation à résidence ou la présentation régulière rapports régulières à un poste de police devraient être privilégiées.