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Afrique Détention provisoire Accès au droit Justice Conditions matérielles Alternatives
Interview

"Des réponses africaines à des questions africaines"

Accompagner les gouvernements à la recherche de solutions adaptées en matière de police et de prison

Maria Teresa Manuela est Rapporteure spéciale sur les prisons, les conditions de détention et l’action policière en Afrique auprès de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples. Elle a été procureure générale adjointe de la République au sein de la Cour suprême et membre fondatrice de la Commission intersectorielle pour l’élaboration de rapports nationaux sur les droits de l’homme en Angola.

Elle travaille, depuis 2017, en étroite collaboration avec les États africains en vue notamment d’améliorer les conditions de détention et de garantir le respect des droits des personnes privées de liberté.

Prison Insider s’est entretenue avec Maria Teresa Manuela sur les défis auxquels sont confrontés les systèmes pénitentiaires en Afrique et sur la manière dont la Commission s’efforce de trouver des “réponses africaines à des questions africaines”.
Vous pouvez consulter la version originale, en portugais.

Notre rôle n'est pas d'imposer des changements, mais de sensibiliser les gouvernements à la recherche de solutions adaptées.

Prison Insider. Quel est votre rôle en tant que Rapporteure spéciale et comment remplissez-vous ce mandat ?

Maria Teresa Manuela. La Commission africaine des droits de l’homme et des peuples a été créée en 1987. Elle est composée de 11 rapporteur.es et supervise 16 mécanismes subsidiaires thématiques, dont celui relatif aux prisons, aux conditions de détention et à l’action policière.

La Commission a établi le mandat de rapporteur.e spécial.e sur les prisons et les conditions de détention à la suite du séminaire international de Kampala en 1996. Ce mandat lui confère la responsabilité d’examiner l’état des conditions de détention en Afrique et d’émettre des recommandations aux États afin de garantir le respect des normes internationales minimales en matière de droits des personnes privées de liberté. Ce mécanisme engage par ailleurs un plaidoyer auprès des gouvernements africains, en encourageant l’adhésion à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et la transposition des normes internationales en matière de droits humains dans les législations nationales.

Le mandat de rapporteur.e a été étendu, en 2015, à l’examen des questions liées aux interventions policières. La Commission place ainsi le respect des droits humains par la police au cœur de son mandat et ouvre son regard à d’autres lieux de détention.

La collaboration avec les autres mécanismes et la société civile permet d’obtenir des informations sur ce qui se passe dans les différents pays du continent. Le mécanisme assure ensuite la diffusion de ces informations, ce qui contribue à garantir la protection des droits des personnes détenues.

Nous travaillons, par exemple, avec le Comité pour la prévention de la torture en Afrique (CPTA) sur des initiatives liées à la question de l’action policière. Le monitoring transversal est essentiel si l’on veut comprendre la réalité des personnes privées de liberté en situation de vulnérabilité, telles que les femmes, les personnes âgées, les enfants, les minorités et les personnes vivant avec le VIH.

Mon travail se fait aussi en coopération étroite avec le Comité africain d’experts sur les droits et le bien-être de l’enfant. La majorité pénale est extrêmement basse dans certains États. Il arrive que l’âge minimum légal prévu pour la privation de liberté soit de 13 ans. Cela signifie concrètement que des enfants sont mis en prison.

Nous sensibilisons les États afin qu’ils révisent leur législation en accord avec la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant et la Convention relative aux droits de l’enfant. Il faut que toute personne âgée de moins de 18 ans soit reconnue comme mineure, pour éviter que les enfants soient noyé.es dans un système pénal surchargé et punitif.

Chaque pays réagit différemment aux recommandations. Notre mécanisme touche des sujets sensibles car les questions liées aux prisons, à la police, à l’application de la loi et à la sécurité publique sont centrales pour les États et la souveraineté nationale. Notre rôle n’est pas d’imposer des changements, mais de sensibiliser les gouvernements à la recherche de solutions adaptées à leurs réalités. Il est essentiel, pour ce faire, d’établir une relation de confiance. Malgré les défis rencontrés, nous avons obtenu de bons résultats en Afrique.

Au lieu de construire plus de prisons, nous devrions construire plus d'écoles.

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La justice pénale et la prison sont, ici et là, utilisées contre celles et ceux qui sont exclu.es, qui ne se conforment pas aux normes sociales ou qui s’expriment ouvertement contre l’injustice. Prison Insider consacre une série d’articles à ce sujet.

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PI. Le taux moyen de personnes en détention provisoire sur le continent africain était de 40 % en 2020, soit le taux le plus élevé au monde. Comment la situation évolue-t-elle ?

MTM. Les prisons sont le dernier maillon du système judiciaire et mettent en évidence toutes les failles de celui-ci. Presque tous les pays africains, à quelques exceptions près, affichent un ratio de 60 % de personnes en attente de jugement. Le recours excessif à la détention provisoire constitue l’un de nos plus grands défis. C’est pour cela que le mécanisme travaille depuis 2015 sur les questions liées à l’action policière.

Si la pauvreté s’installe partout dans le monde, elle est profondément enracinée dans tous les pays d’Afrique. La plupart des personnes détenues le sont en raison de la criminalisation de la pauvreté et du statut. Les délits résultent le plus souvent de contextes socio-économiques difficiles. Pour manger, beaucoup de gens ont recours à la criminalité. Les solutions ne doivent, dans ce cas, pas être pénales, mais sociales. Au lieu de construire plus de prisons, nous devrions construire plus d’écoles.

La plupart des personnes qui entrent en contact avec le système pénal ne connaissent pas leurs droits et n’ont pas accès à une assistance juridique. Elles ne sont donc pas en mesure de demander, par exemple, une libération provisoire ou sous caution.

Le personnel judiciaire et les forces de l’ordre n’ont pas les capacités pour faire face à l’avalanche de personnes qui entrent chaque jour dans le système judiciaire et pénitentiaire. Même un traitement prioritaire et rapide des personnes prévenues est préconisé, le manque de professionnel.les qualifié.es, notamment en matière de droits humains, se traduit par une lenteur dans le traitement des dossiers. Par conséquent, les personnes sont arrêtées bien plus vite qu’elles ne peuvent être jugées. Ce sont autant de facteurs qui, en amont et en aval, contribuent au taux élevé de détention préventive sur le continent.

Là aussi, nous sensibilisons à la nécessité de réviser les lois et d’améliorer la formation du personnel judiciaire. Certains pays ont mis en place des méthodes d’examen de la population carcérale afin d’identifier les cas de détention préventive abusive, notamment avec l’aide d’organisations de la société civile, comme la Fédération internationale des ACAT (FIACAT) et, au niveau national, les Actions des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT). L’objectif est d’inverser l’équation actuelle et de pouvoir, dans un avenir proche, ne pas dépasser 25 % de personnes en détention préventive.

Il ne s'agit pas d'ignorer les modèles internationaux, mais d'apporter des réponses africaines à des questions africaines.

PI. Vous travaillez actuellement sur une étude portant sur les conditions de détention dans les pays d'Afrique. Pourquoi est-il important d'avoir une vision régionale ?

MTM. Les problèmes identifiés en 1996 à Kampala sont toujours d’actualité dans la plupart des pays, alors que notre mécanisme vient de fêter son 25ème anniversaire. Jusqu’à présent, les ressources et les études sur les prisons en Afrique ont été réalisées par des organisations internationales qui viennent de l’extérieur du continent. Le moment est venu de porter un regard interne sur l’évolution de la situation, afin de comprendre la réalité de nos prisons et d’identifier la voie à suivre.

Les prisons n’existaient pas dans les cultures africaines, les problèmes se résolvaient autrement. Il est important de rappeler que les prisons ont été introduites par la colonisation. Il s’agissait alors de discriminer les personnes natives/autochtones, alors même que beaucoup de responsables de la colonisation avaient été eux-mêmes aux prises avec la justice dans leur pays d’origine. Il faut se pencher sur cet héritage et trouver des réponses.

Les établissements pénitentiaires utilisés aujourd’hui en Afrique datent, pour beaucoup, de l’époque coloniale et étaient conçus pour 50 ou 60 personnes. Aujourd’hui, ils enferment jusqu’à 100 fois plus de personnes. Malgré le grand mouvement de construction de nouvelles infrastructures, les ressources ne sont pas suffisantes pour faire face à cette augmentation.

L’étude cherche à comprendre la réalité des conditions de détention sur le continent dans ce contexte historique et structurel, en valorisant l’expérience de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples. Il ne s’agit pas d’ignorer les modèles internationaux, mais d’apporter des réponses africaines à des questions africaines, adaptées à nos particularités.

PI. Les normes internationales ainsi que les projets et réformes pénitentiaires menés avec un soutien extérieur (financement, assistance technique, etc.) sont-elles adaptées aux réalités locales ?

MTM. Nous sommes responsables de l’application de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et nous faisons partie du système universel des droits humains. Nous coopérons et suivons les instruments internationaux, bien que la Déclaration universelle des droits de l’homme ait été signée sans la participation du continent, peu de pays étant indépendants à cette époque.

Nos instruments doivent être alignés sur les normes internationales sans pour autant ignorer les spécificités du continent et de chaque pays. Nous savons qu’une réponse donnée en Afrique du Sud peut servir d’exemple à d’autres pays, comme l’Angola, le Mozambique ou la Tunisie. Mais nous examinons le modèle et nous l’adaptons à chaque réalité.

Ce principe devrait être suivi par les partenaires internationaux qui soutiennent des projets pénitentiaires en Afrique : il est essentiel qu’ils respectent les modèles proposés par le continent lui-même.

Les partenariats sont fondamentaux pour rendre nos projets viables, car les pays africains n’ont souvent pas les moyens de les mettre en œuvre seuls. Néanmoins, un modèle importé ne fonctionne pas systématiquement. S’agissant de l’architecture, l’Afrique présente, par exemple, de nombreux microclimats et la construction de prisons avec des murs en béton de quatre mètres ne sera pas vivable. Alors, oui, les partenariats sont les bienvenus, mais il est nécessaire de concevoir une prison pour l’Afrique pensée en Afrique.

Les lois visant à décriminaliser ou à dépénaliser les délits mineurs permettent aux États de réduire le coût du maintien des individu.es en prison.

PI. Quelles sont les initiatives mises en œuvre pour limiter le recours à l’incarcération ?

MTM. Des initiatives visant à promouvoir des formes alternatives de justice émergent dans plusieurs pays africains, permettant d’éviter le recours au système judiciaire, souvent lourd, onéreux et saturé. Nous sommes ainsi en train de réaliser une étude sur ce sujet.

Le modèle traditionnel de justice communautaire s’avère très efficace pour résoudre les conflits. Au Mozambique, cette approche est déjà intégrée au système formel. Une autre forme de justice, formalisée ou non, est le recours au règlement extrajudiciaire de litiges, dont l’Afrique peut être fière.

La Commission africaine a adopté en 2017 les Principes régissant la dépénalisation des infractions mineures. Ces principes encouragent les États à chercher des réponses alternatives pour certains comportements qui ne compromettent pas la sécurité publique.

Les peines d’emprisonnement peuvent être remplacées par des mesures alternatives, telles que le travail d’intérêt général. Le travail des personnes détenues devrait être encouragé à des fins de resocialisation, avec un partage des ressources générées entre la prison, le système judiciaire et la personne détenue. L’éducation et la formation constituent d’autres aspects fondamentaux.

J’ai rencontré des femmes qui ont été arrêtées pour avoir vendu des objets dans des lieux dans lesquels leur vente n’était pas autorisée. Dans certains pays, ces infractions peuvent entraîner des amendes convertibles en peine de prison, ce qui perpétue le cycle de la pauvreté et de l’emprisonnement et affecte des familles entières.

Les lois visant à décriminaliser ou à dépénaliser les délits mineurs permettent aux États de réduire le coût du maintien des individu.es en prison. La conciliation et la médiation sont deux outils qui ont déjà donné de bons résultats dans certains pays, mais qui sont parfois coûteux. D’autres solutions pourraient être explorées, comme l’implication des églises, des organisations de la société civile, des barreaux d’avocat.es et des professionnel.les de l’assistance juridique et sociale.

PI. Comment les pays collaborent-ils entre eux pour répondre aux problèmes pénitentiaires ?

MTM. Le continent a progressé dans la recherche de réponses communes. Certains pays travaillent en blocs régionaux. Nos partenaires organisent régulièrement des ateliers centrés sur les infrastructures pénitentiaires et les réponses que l’Afrique peut apporter. Quatre éditions ont déjà eu lieu, à la fois dans les pays anglophones et francophones. Nous avons été invité.es en Ouganda, à Madagascar et nous nous rendons au Maroc en mai pour participer aux discussions.

Au niveau politique, nous avons l’exemple de la Southern African Development Community (Communauté de développement de l’Afrique australe, SADC), qui étudie le système pénitentiaire et les lois relatives au fonctionnement des forces de sécurité.

Au niveau des institutions intergouvernementales, l’Association des services correctionnels d’Afrique (ACSA) rassemble, tous les deux ans, les directions des services pénitentiaires des 54 pays du continent. Le Parlement africain débat également des législations qui ont un impact sur les systèmes pénitentiaires, et la Commission africaine cherche à y contribuer en influençant les débats pour promouvoir le respect des droits des personnes privées de liberté, au regard de la réalité de chaque pays.

Je constate que le dialogue sur le sujet va croissant, bien que chaque État accorde une vitesse et un degré d’importance différents aux questions liées à la prison. En 1996, il n’y avait aucune initiative. Même si certains pays résistent encore à la recherche de solutions, les progrès sont notables.

La Commission africaine des droits de l’homme et des peuples ne cesse de rappeler aux États qu’il faut penser aux personnes privées de liberté. Il est essentiel que les débats sur les prisons prennent en compte les raisons pour lesquelles les individu.es sont incarcéré.es, les conditions matérielles en prison, ainsi que le coût élevé du maintien derrière les barreaux de personnes qui pourraient contribuer au développement de leur pays.

Propos recueillis par Nathália Keller Rorato et Carolina Nascimento, traduits par Grégoire Fournier.

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